Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/240

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tion de l’orgueil ; or, qu’y a-t-il de plus caressant pour nous autres, fils du péché, que l’idée de renouveler cette lutte de Satan avec Dieu, des Titans avec Jupiter. Dans cette lutte, on le sait bien, Satan a été foudroyé et Encelade enseveli. Mais Encelade enseveli remue une montagne toutes les fois qu’il se retourne. — Satan foudroyé est devenu roi des enfers.

Il est vrai que c’étaient là de ces choses que ne comprenait pas le pauvre Pierre Munier.

Aussi, tandis que Georges, après avoir laissé sa fenêtre entr’ouverte, avoir suspendu ses pistolets à son chevet et mis son sabre sous son oreiller, se fut endormi aussi tranquille que s’il ne dormait pas sur une poudrière, Pierre Munier, armant cinq ou six nègres dont il était sûr, les avait placés en vedettes tout autour de l’habitation, et s’était mis lui-même en sentinelle sur la route de Moka. De cette façon une retraite momentanée était du moins assurée à son Georges, et il ne courait plus le risque d’être surpris.

La nuit se passa sans alerte aucune. Au reste, c’est le propre des conspirations qui s’ourdissent entre les nègres que le secret soit toujours scrupuleusement gardé. Les pauvres gens ne sont pas encore assez civilisés pour calculer ce que peut rapporter une trahison.

La journée du lendemain s’écoula comme la nuit précédente, et la nuit suivante comme la journée : rien n’arriva qui pût faire croire à Georges qu’il avait été trahi. Quelques heures le séparaient donc seulement encore de l’accomplissement de son dessein.

Vers les neuf heures du matin, Laïza arriva. Georges le fit entrer dans sa chambre : rien n’était changé aux dispositions générales ; seulement l’enthousiasme produit par la générosité de Georges allait croissant. À neuf heures les dix mille conspirateurs devaient être réunis en armes sur les bords de la rivière des Lataniers ; à dix heures la conspiration devait éclater.

Tandis que Georges questionnait Laïza sur les dispositions de chacun et établissait avec lui les chances de cette périlleuse entreprise, il aperçut de loin son messager Miko-Miko, qui, portant toujours sur son épaule son bambou et ses paniers, marchait de son pas habituel, et s’avançait vers l’ha-