Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/262

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et garnies de tonneaux. La scène était encore plus immonde que la première fois ; l’ivresse avait fait des progrès.

Puis, au bout de chaque rue, on voyait étinceler dans les ténèbres les baïonnettes d’une compagnie anglaise.

Georges et Laïza se regardèrent avec ce sourire qui signifie : Il ne s’agit plus ici de vaincre, mais de mourir et de bien mourir.

Cependant tous deux voulurent tenter un dernier effort ; ils s’élancèrent dans la rue principale, essayant de rallier les révoltés à leur petite troupe. Mais quelques-uns à peine étaient en état d’entendre les cris et les exhortations de leurs chefs ; les autres les méconnaissaient entièrement, chantaient d’une voix avinée, et dansaient sur leurs jambes tremblantes, tandis que le plus grand nombre, arrivé au dernier degré de l’ivresse, roulait par la rue, perdant de minute en minute le peu de sentiment qui lui restait.

Laïza avait pris un fouet, et frappait à tour de bras sur les misérables ; Georges, appuyé sur le barreau de fer, la seule arme qu’il eût touchée, les regardait immobile et dédaigneux, pareil à la statue du Mépris.

Au bout de quelques minutes, tous deux demeurèrent convaincus qu’il n’y avait plus rien à espérer et que chaque minute qu’ils perdaient était une année retranchée à leur existence ; d’ailleurs quelques hommes de leur troupe, entraînés par l’exemple, fascinés par la vue de la boisson enivrante, étourdis par l’odeur alcoolique qui leur montait au cerveau, commençaient à les abandonner à leur tour. Il n’y avait donc pas de temps à perdre pour quitter la ville, et encore était-il évident que déjà peut-être on en avait trop perdu.

Georges et Laïza rassemblèrent la petite troupe qui leur était restée fidèle, trois cents hommes à peu près ; puis, se mettant à leur tête, ils marchèrent résolument vers l’extrémité de la rue, qui, comme nous l’avons dit, était fermée par un mur de soldats. Arrivés à quarante pas des Anglais, ils virent les fusils s’abaisser vers eux, un rayon de flammes éclata sur toute la ligne, puis aussitôt une grêle de balles fouilla leurs rangs ; dix ou douze hommes tombèrent encore, mais les deux chefs restèrent debout, et, poussés à la fois par leurs deux voix puissantes, le cri : En avant ! retentit.