Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/273

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pensa qu’il avait fallu trois générations d’hommes honnêtes comme lui, laborieux comme lui, estimés comme lui, pour faire de ce quartier le paradis de l’île, poussa un soupir, essuya une larme ; puis, détournant les yeux et secouant la tête, il regagna, le sourire sur les lèvres, le brancard où l’attendait l’enfant blessé pour lequel il abandonnait tout cela.


XXIV.

LES GRANDS BOIS.


Au moment où la troupe fugitive atteignait la source de la rivière des Créoles, le jour se levait, et les rayons du soleil oriental éclairaient le sommet granitique du piton du milieu ; avec lui s’éveillait toute la population des forêts. À chaque pas, les tanrecs se levaient sous les pieds des nègres et regagnaient leurs terriers, les singes s’élançaient de branches en branches et atteignaient les extrémités les plus flexibles des vacoas, des filaos et des tamariniers ; puis, se suspendant et se balançant par la queue, allaient, franchissant une grande distance, s’accrocher avec une adresse merveilleuse, à quelque autre arbre qui leur donnait un asile plus touffu. Le coq des bois se levait à grand bruit, battant l’air de son vol pesant, tandis que les perroquets gris semblaient le railler de leur cri moqueur, et que le cardinal, pareil à une flamme volante, passait, rapide comme un éclair et étincelant comme un rubis ; enfin, selon son habitude, la nature, toujours jeune, toujours insoucieuse, toujours féconde, semblait, par sa sereine tranquillité et son calme bonheur, une éternelle ironie de l’agitation et des douleurs de l’homme.

Après trois ou quatre heures de marche, la troupe fit une halte sur un plateau, au pied d’une montagne sans nom, dont la base vient mourir sur les bords de la rivière. La faim commençait à se faire sentir : heureusement chacun dans la route