Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/99

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Les deux nègres marchaient en silence, regardant de temps en temps autour d’eux d’un air inquiet, s’arrêtant pour écouter, puis reprenant leur chemin ; enfin, parvenus dans un endroit plus touffu, ils entrèrent dans une espèce de petit bois de bambous, et parvenus à son centre, s’arrêtèrent, écoutant encore et regardant de nouveau autour d’eux. Sans doute le résultat de cette dernière investigation fut encore plus rassurant que les autres, car ils échangèrent un regard de sécurité, et s’assirent tous deux au pied d’un bananier sauvage, qui étendait ses larges feuilles, comme un éventail magnifique, au milieu des feuilles grêles des roseaux qui l’environnaient.

— Eh bien, frère ? demanda le premier Nazim avec ce sentiment d’impatience que Laïza avait déjà modéré quand il avait voulu le questionner au milieu des autres nègres.

— Tu conserves donc toujours la même résolution, Nazim ? répondit Laïza.

— Plus que jamais, frère. Je mourrais ici, vois-tu. J’ai pris sur moi de travailler jusqu’à présent, moi Nazim, moi fils de chef, moi ton frère ; mais je me lasse de cette vie misérable : il faut que je retourne à Anjouan ou que je meure.

Laïza poussa un soupir.

— Il y a loin d’ici à Anjouan, dit-il.

— Qu’importe ! répondit Nazim.

— Nous sommes dans le temps des grains.

— Le vent nous poussera plus vite.

— Mais si la barque chavire ?

— Nous nagerons tant que nous aurons de force ; puis, lorsque nous ne pourrons plus nager, nous regarderons une dernière fois le ciel où nous attend le grand esprit, et nous nous engloutirons dans les bras l’un de l’autre.

— Hélas ! dit Laïza.

— Cela vaut mieux que d’être esclave, dit Nazim.

— Ainsi tu veux quitter l’Île de France ?

— Je le veux.

— Au risque de la vie ?

— Au risque de la vie.

— Il y a dix chances contre une pour que tu n’arrives point à Anjouan.