devenues de simples observatoires, aujourd’hui encore que les légendes les plus poétiquement terribles n’éveillent qu’un sourire de doute sur les lèvres du voyageur, aujourd’hui encore cette solitude effraie et rend si vénérable cette partie de la contrée, que quelques maisons de chétive apparence, sentinelles perdues des villages voisins, ont seules apparu, à distance de cette ceinture magique, pour témoigner de la présence de l’homme dans ce pays.
Ceux qui habitent ces maisons égarées dans la solitude sont des meuniers qui laissent gaiement la rivière broyer leur blé dont ils vont porter la farine à Rockenhausen et à Alzey, ou des bergers qui, en menant paître leurs troupeaux dans la montagne, tressaillent parfois, eux et leurs chiens, au bruit de quelque sapin séculaire qui tombe de vieillesse dans les profondeurs inconnues de la forêt.
Car les souvenirs du pays sont lugubres, nous l’avons déjà dit, et le sentier qui se perd au delà de Danenfels, au milieu des bruyères de la montagne, n’a pas toujours, disent les plus braves, conduit d’honnêtes chrétiens au port de leur salut.
Peut-être même quelqu’un d’entre ses habitants d’aujourd’hui a-t-il entendu raconter autrefois à son père ou à son aïeul ce que nous allons essayer de raconter nous-mêmes aujourd’hui.
Le 6 mai 1770, à l’heure où les eaux du grand fleuve se teignent d’un reflet blanc irisé de rose c’est-à-dire au moment où, pour tout le Rhingau, le soleil descend derrière l’aiguille de la cathédrale de Strasbourg, qui la coupe en deux hémisphères de feu, un homme qui venait de Mayence, après avoir traversé Alzey et Kircheim-Poland, apparut au delà du village de Danenfels, suivit le sentier, tant que le sentier fut visible, puis, lorsque toute trace de chemin fut effacée, descendant de son cheval et le prenant par la bride, il alla sans hésitation l’attacher au premier sapin de la redoutable forêt.
L’animal hennit avec inquiétude, et la forêt sembla tressaillir à ce bruit inaccoutumé.
— Bien ! bien ! murmura le voyageur ; calme-toi, mon bon