Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 1.djvu/134

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— Résumons, dit Gilbert en se levant, car nous perdons notre temps, vous à me dire des injures, moi à les écouter. Vous m’avez aimé parce que cela vous a plu, n’est-ce pas ?

— Sans doute.

— Eh bien ! ce n’est pas une raison de me rendre malheureux, moi, parce que vous avez fait, vous, une chose qui vous a plu.

— Le sot, dit Nicole, qui me croit pervertie, et qui fait semblant de ne pas me craindre !

— Vous craindre, vous, Nicole ! Allons donc ! Que pouvez-vous contre moi ? La jalousie vous égare.

— La jalousie ! moi jalouse ! dit avec un rire fiévreux la jeune fille ; ah ! vous vous trompez fort si vous me croyez jalouse. Et de quoi serais-je jalouse, je vous prie ? Est-il dans tout le canton une plus jolie fille que moi ? Si j’avais les mains blanches de mademoiselle, et je les aurai le jour où je ne travaillerai plus, ne vaudrais-je pas mademoiselle ? Mes cheveux, regardez mes cheveux, (et la jeune fille dénoua le ruban qui les retenait), mes cheveux peuvent m’envelopper des pieds à la tête comme un manteau. Je suis grande, je suis bien faite. (Et Nicole emprisonna sa taille entre ses deux mains.) J’ai des dents qui ressemblent à des perles. (Et elle regarda ses dents dand un petit miroir accroché à son chevet.) Quand je veux sourire à quelqu’un et le regarder d’une certaine façon, je vois ce quelqu’un rougir, frissonner, se tordre sous mon regard. Vous êtes mon premier amant, c’est vrai ; mais vous n’êtes pas le premier homme avec lequel j’aie été coquette. Tiens, Gilbert, continua la jeune fille plus menaçante avec son rire saccadé qu’elle ne l’était avec ses menaces véhémentes, tu ris ! Crois-moi, ne me force pas à te faire la guerre ; ne me fais pas sortir tout à fait de l’étroit sentier où me retient encore je ne sais quel vague souvenir des conseils de ma mère, je ne sais quel monotone prescription de mes prières d’enfant. Si une fois je me jette hors de la pudeur, prends garde à toi, Gilbert, car tu auras non seulement à te reprocher les malheurs qui en résulteront pour toi, mais encore ceux qui en résulteront pour les autres !