bien, dit la comtesse, voilà déjà que vous m’abandonnez, et que cet assassinat de tout à l’heure n’est plus qu’un duel, maintenant que vous vous doutez d’où il nous vient.
— Bon ! nous y voici, dit Louis XV en lâchant le robinet de la fontaine, qui se mit à jouer, faisant chanter les oiseaux, faisant nager les poissons, faisant sortir les mandarins.
— Vous ne savez pas d’où vient le coup ? demanda la comtesse en chiffonnant les oreilles de Zamore, couché à ses pieds.
— Non, ma foi, dit Louis XV.
— Vous ne vous en doutez pas ?
— Je vous jure. Et vous, comtesse ?
— Eh bien ! moi je le sais, et je vais vous le dire, et je ne vous apprendrai rien de nouveau, j’en suis bien certaine.
— Comtesse, comtesse, dit Louis XV, essayant de prendre sa dignité, savez-vous que vous donnez un démenti au roi ?
— Sire, peut-être suis-je un peu vive, c’est vrai ; mais si vous croyez que je laisserai tranquillement M. de Choiseul me tuer mon frère…
— Bon ! voilà que c’est M. de Choiseul ! dit le roi avec un éclat de voix, comme s’il ne s’attendait pas à ce nom, que depuis dix minutes il redoutait de voir figurer dans la conversation.
— Ah ! dame ! si vous vous obstinez à ne pas voir qu’il est mon plus cruel ennemi, moi je le vois et clairement, car il ne se donne point la peine de cacher la haine qu’il me porte.
— Il y a loin de haïr les gens à les assassiner, chère comtesse.
— Pour les Choiseul, toutes choses se touchent.
— Ah ! chère amie, voici encore les raisons d’État qui reviennent.
— Mon Dieu ! mon Dieu ! voyez donc si ce n’est pas damnant, monsieur de Sartines.
— Mais non, si ce que vous croyez…
— Je crois que vous ne me défendez pas, voilà tout, et même, je dirai plus, je suis sûre que vous m’abandonnez ! s’écria la comtesse avec violence.