Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 1.djvu/35

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t-elle pas des princes qui seront le modèle des vertus que j’ai citées, et qui apporteront en dot la paix européenne ? Voilà que la dauphine, Marie-Antoinette, va traverser la frontière ; l’autel et le lit nuptial s’apprêtent à Versailles ; est-ce bien le moment de commencer par la France et pour la France, votre œuvre de réformation ? Pardonnez-moi encore, mais j’ai dû dire, très vénérable seigneur, ce que je pensais au fond de l’âme, et ce que je crois de mon devoir de soumettre à votre infaillible sagesse.

À ces mots, celui qui venait de parler, et que l’inconnu avait désigné sous le nom de l’apôtre de Zurich, s’inclina, recueillant le murmure flatteur des approbations unanimes, et attendit la réponse du grand Cophte.

Elle ne se fit point attendre, et celui-ci reprit aussitôt :

— Si vous lisez dans les physionomies, très illustre frère, dit-il, moi je lis dans l’avenir. Marie-Antoinette est fière ; elle s’entêtera dans la lutte et périra sous nos attaques. Le dauphin Louis-Auguste est bon et clément ; il faiblira dans la lutte et périra comme sa femme et avec sa femme ; seulement ils périront chacun par la vertu ou le défaut contraire. Ils s’estiment en ce moment, nous ne leur donnerons pas le temps de s’aimer, et dans un an ils se mépriseront. D’ailleurs, pourquoi délibérer, frères, pour savoir de quel côté vient la lumière quand cette lumière m’est révélée, à moi ; quand je viens d’orient, conduit comme les bergers par cette étoile qui annonce une seconde régénération ? Demain je me mets à l’œuvre, et avec votre concours je vous demande vingt ans pour accomplir notre œuvre ; vingt ans suffiront si nous marchons unis et forts vers un même but.

— Vingt ans ! murmurèrent plusieurs fantômes, c’est bien long !

Le grand Cophte se retourna vers ces impatients.

— Oui, sans doute, dit-il, c’est bien long pour quiconque se figure qu’on tue un principe comme on tue un homme, avec le couteau de Jacques Clément ou avec le canif de Damiens. Insensés !… le couteau tue l’homme, c’est vrai ; mais, pareil à l’acier régénérateur, il tranche un rameau pour en faire jaillir