Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 1.djvu/49

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rapidité et le bruit du tonnerre contre lequel elle semblait lutter.

— Au galop ! cria le voyageur, au galop ! Si tu faiblis, je te passe sur le corps, à toi et à tes chevaux.

Le postillon comprenait que ce n’était pas là une menace frivole, aussi redoubla-t-il d’énergie, et la voiture continua de descendre avec une vélocité effrayante ; on eût dit, en la voyant passer dans la nuit avec son grondement terrible, sa cheminée flamboyante, ses cris étouffés, voir quelque char infernal traîné par des chevaux fantastiques et poursuivi par un ouragan.

Mais les voyageurs n’avaient évité un danger que pour tomber dans un autre. Le nuage électrique qui planait sur la vallée avait des ailes et se précipitait aussi rapide que les chevaux. De temps en temps le voyageur levait la tête ; c’était surtout lorsqu’un éclair déchirait la nuée, et à la lueur de cet éclair, on pouvait distinguer sur son visage un sentiment d’inquiétude qu’il ne cherchait pas à dissimuler ; car personne, excepté Dieu, n’était là pour le surprendre. Tout à coup, au moment où la voiture atteignait le bas de la pente, et continuait, emportée par son élan, de rouler sur un terrain égal, le brusque déplacement de l’air combina les deux électricités, la nuée se déchira avec un fracas terrible pour laisser passer ensemble éclair et tonnerre. Un feu, violet d’abord, puis verdâtre, puis blanc, enveloppa les chevaux ; ceux de derrière se cabrèrent en battant l’air chargé de soufre ; ceux de devant s’abattirent comme si la terre eût manqué sous leurs pieds ; mais presque aussitôt celui que montait le postillon se releva, et, sentant ses traits brisés par la secousse, il emporta son maître, qui disparut dans les ténèbres, tandis que la voiture, après avoir roulé dix pas encore, s’arrêtait en heurtant le cadavre du cheval foudroyé.

Tout cet épisode avait été accompagné de cris déchirants poussés par la femme de la voiture.

Il y eut un moment de confusion singulière pendant laquelle aucun ne sut s’il était mort ou vivant. Le voyageur lui-même se tâta pour constater son identité.

Il était sain et sauf, mais sa femme était évanouie.