lucidité de sa fille, avait senti s’allumer sa colère en songeant que ce jeune homme avait raison, et que l’on avait eu avec lui, en le laissant à Taverney en compagnie de Mahon, des torts d’inhumanité.
Or, on pardonne difficilement à un inférieur le tort dont il peut nous convaincre ; de sorte que s’échauffant à mesure que sa fille s’adoucissait :
— Ah ! brigandeau ! s’écria-t-il ; tu désertes, tu vagabondes ; et lorsqu’on demande compte de ta conduite, tu as recours à des balivernes comme celles que nous venons d’entendre ! Eh bien ! comme je ne veux pas que, par ma faute, le pavé du roi soit embarrassé de filous et de bohèmes…
Andrée fit un mouvement pour calmer son père ; elle sentait que l’exagération excluait la supériorité.
Mais le baron écarta la main protectrice de sa fille et continua :
— Je te recommanderai à M. de Sartines, et tu iras faire un tour à Bicêtre, mauvais garnement de philosophe !
Gilbert fit un pas de retraite, enfonça son chapeau, et pâle de colère :
— Monsieur le baron, dit-il, apprenez que depuis que je suis à Paris, j’ai trouvé des protecteurs qui lui font faire antichambre à votre M. de Sartines.
— Ah ! oui-dà ! s’écria le baron ; eh bien ! si tu échappes à Bicêtre, tu n’échapperas point aux étrivières. Andrée, Andrée ! appelez votre frère qui est là tout près.
Andrée se baissa vers Gilbert et lui dit impérieusement :
— Voyons, monsieur Gilbert, retirez-vous.
— Philippe ! Philippe ! cria le vieillard.
— Retirez-vous, dit Andrée au jeune homme, qui demeurait muet et immobile à sa place, comme dans une contemplation extatique.
Un cavalier, attiré par l’appel du baron, accourut à la portière du carrosse : c’était Philippe de Taverney, avec un uniforme de capitaine. Le jeune homme était tout à la fois joyeux et splendide :
— Tiens ! Gilbert ! dit-il avec bonhomie en reconnaissant le