le croyait du moins, de soutenir le poids de son malheur.
Alors une main se posa sur son épaule.
Il se retourna et vit Philippe qui, ayant mis pied à terre et donné son cheval à tenir à un soldat de son régiment, revenait tout souriant à lui.
— Voyons, qu’est-il donc arrivé, mon pauvre Gilbert, et pourquoi es-tu à Paris ?
Ce ton franc et cordial toucha le jeune homme.
— Eh ! monsieur, dit-il avec un soupir arraché à son stoïcisme farouche, qu’eussé-je fait à Taverney, je vous le demande ? J’y fusse mort de désespoir, d’ignorance et de faim !
Philippe tressaillit, car son esprit impartial était frappé, comme l’avait été Andrée, du douloureux abandon où l’on avait laissé le jeune homme.
— Et tu crois donc réussir à Paris, pauvre enfant, sans argent, sans protection, sans ressources ?
— Je le crois, monsieur ; l’homme qui veut travailler meurt rarement de faim, là où il y a d’autres hommes qui désirent ne rien faire.
Philippe tressaillit à cette réponse. Jamais il n’avait vu dans Gilbert qu’un familier sans importance.
— Manges-tu, au moins ? dit-il.
— Je gagne mon pain, monsieur Philippe, et il n’en faut pas davantage à celui qui ne s’est jamais fait qu’un reproche, c’est de manger celui qu’il ne gagnait pas.
— Tu ne dis pas cela, je l’espère, pour celui qu’on t’a donné à Taverney, mon enfant. Ton père et ta mère étaient de bons serviteurs du château, et toi-même te rendais facilement utile.
— Je ne faisais que mon devoir, monsieur.
— Écoute, Gilbert, continua le jeune homme ; tu sais que je t’ai toujours aimé ; je t’ai toujours vu autrement que les autres ; est-ce à tort, est-ce à raison ? l’avenir me l’apprendra. Ta sauvagerie m’a paru délicatesse ; ta rudesse, je l’appelle fierté.
— Ah ! monsieur le chevalier ! fit Gilbert respirant.
— Je te veux donc du bien, Gilbert.
— Merci, monsieur.