Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 3.djvu/134

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De temps en temps, le flot, poussé par les autres flots, s’écroulait au milieu des rires de la multitude encore assez peu pressée pour qu’il n’y eût point de danger à de pareilles chutes, et pour que ceux qui étaient tombés pussent se relever.

Vers huit heures et demie, tous les regards, divergents jusque-là, commencèrent à se braquer dans la même direction et se fixèrent sur la charpente du feu d’artifice. Ce fut alors que les coudes, jouant sans relâche, commencèrent à maintenir sérieusement l’intégrité de la possession du terrain contre les envahisseurs sans cesse renaissants.

Ce feu d’artifice combiné par Ruggieri, était destiné à rivaliser, rivalité que l’orage de la surveille avait rendue facile, était destiné à rivaliser, disons-nous, avec le feu d’artifice exécuté à Versailles par l’ingénieur Torre. On savait à Paris que l’on avait peu profité à Versailles de la libéralité royale, qui avait accordé cinquante mille livres pour ce feu, puisqu’aux premières fusées ce feu avait été éteint par la pluie, et comme le temps était beau le soir du 30 mai, les Parisiens jouissaient d’avance de leur triomphe assuré sur leurs voisins les Versaillais.

D’ailleurs, Paris attendait beaucoup mieux de la vieille popularité de Ruggieri que de la nouvelle réputation de Torre.

Au reste, le plan de Ruggieri, moins capricieux et moins vague que celui de son confrère, accusait des intentions pyrotechniques d’un ordre tout à fait distingué : l’allégorie, reine de cette époque, s’y mariait au style architectonique le plus gracieux ; la charpente figurait ce vieux temple de l’Hymen qui, chez les Français, rivalise de jeunesse avec le temple de la Gloire : il était soutenu par une colonnade gigantesque, et entouré d’un parapet aux angles duquel des dauphins, gueule béante, n’attendaient que le signal pour vomir des torrents de flammes. En face des dauphins s’élevaient, majestueux et guindés, sur leurs urnes, la Loire, le Rhône, la Seine et le Rhin, ce fleuve que nous nous obstinons à naturaliser français malgré tout le monde, et, s’il faut en croire les chants modernes de nos amis les Allemands, malgré lui-même ; tous quatre — nous parlons des fleuves — tous quatre, disons-nous,