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Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 3.djvu/148

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espèrent trouver leur ami, et qui s’éloignent quand ils ne l’ont pas reconnu.

Toutefois, à l’extrémité de la place, près du jardin, s’organise avec le dévouement de la charité populaire, une ambulance. Un jeune chirurgien, on le reconnaît pour tel du moins à la profusion d’instruments dont il est entouré, un jeune chirurgien se fait apporter les hommes et les femmes blessés ; il les panse, et, tout en les pansant, il leur dit de ces mots qui expriment plutôt la haine contre la cause que la pitié pour l’effet.

À ses deux aides, robustes colporteurs, qui lui font passer la sanglante revue, il crie incessamment :

— Les femmes du peuple, les hommes du peuple d’abord. Ils sont aisés à reconnaître, plus blessés presque toujours, moins richement parés, certainement !

À ces mots, répétés après chaque pansement avec une stridente monotonie, un jeune homme au front pâle, qui, un falot à la main, cherche parmi les cadavres, a pour la seconde fois relevé la tête.

Une large blessure qui lui sillonne le front laisse échapper quelques gouttes de sang vermeil ; un de ses bras est soutenu par son habit, qui l’enferme entre deux boutons ; son visage, couvert de sueur, trahit une émotion incessante et profonde.

À cette recommandation du médecin entendue, comme nous l’avons dit, pour la seconde fois, il releva la tête, et, regardant tristement ces membres mutilés, que l’opérateur semblait, lui, regarder presque avec délice :

— Oh ! monsieur, dit-il, pourquoi choisissez-vous parmi les victimes ?

— Parce que, dit le chirurgien levant la tête à cette interpellation, parce que personne ne soignera les pauvres, si je ne pense pas à eux, et que les riches seront toujours assez recherchés ! Abaissez votre lanterne et interrogez le pavé ; vous trouvez cent pauvres pour un riche ou un noble. Et dans cette catastrophe encore, avec un bonheur qui finira par lasser Dieu lui-même, les nobles et les riches ont payé le tribut qu’ils paient d’ordinaire : un sur mille.