Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 4.djvu/208

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— Oui, par la quantité d’idées fausses que cela donnera aux petits bourgeois.

— Monseigneur, dès qu’un homme est père, il rentre dans les conditions de mon livre, fût-il le plus grand, fût-il le dernier du royaume… Être père… c’est…

— Dites donc, monsieur Rousseau, demanda tout à coup le méchant prince, c’est un bien amusant livre que vos Confessions… Au fait, voyons, combien avez-vous eu d’enfants ?

Rousseau pâlit, chancela, et leva sur le jeune bourreau un œil de colère et de stupéfaction dont l’expression redoubla la maligne humeur du comte de Provence.

Il en était bien ainsi, car, sans attendre la réponse, le prince s’éloigna, tenant son précepteur sous le bras, et poursuivant ses commentaires sur les ouvrages de l’homme qu’il venait d’écraser avec férocité.

Rousseau, demeuré seul, se réveilla peu à peu de son étourdissement, lorsqu’il entendit les premières mesures de son ouverture exécutée à l’orchestre.

Il se dirigea de ce côté en oscillant, et, arrivé à son siège, il se dit :

— Fou, stupide, lâche, que je suis ! voici que je viens de trouver la réponse qu’il m’eût fallu faire à ce petit pédant cruel : « Monseigneur, lui eussé-je dit, ce n’est pas charitable de la part d’un jeune homme de tourmenter un pauvre vieillard. »

Il en était là, tout content de sa phrase, quand madame la dauphine et M. de Coigny commencèrent leur duo. La préoccupation du philosophe fut détournée par la souffrance du musicien ; après le cœur, l’oreille recevait son supplice.