Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 5.djvu/134

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— Sais-tu où elle est en ce moment, ma bonne Andrée ? Dis, Gilbert.

Ce nom frappa Gilbert douloureusement au cœur ; il répondit d’une voix étranglée :

— Mais, chez elle, monsieur, à ce que je présume… Comment voulez-vous que moi je sache… ?

— Seule comme toujours, et s’ennuyant ; pauvre sœur ! interrompit Philippe.

— Seule en ce moment, oui, monsieur, selon toute probabilité, car depuis la fuite de mademoiselle Nicole…

— Comment ! Nicole a fui ?

— Oui, monsieur, avec son amant.

— Avec son amant ?

— Du moins à ce que je présume, dit Gilbert, qui vit qu’il s’était trop avancé. On disait cela aux communs.

— Mais, en vérité, Gilbert, dit Philippe, de plus en plus inquiet, je n’y comprends rien. Il faut t’arracher les paroles. Sois donc un peu plus aimable. Tu as de l’esprit, tu ne manques pas de distinction naturelle ; voyons, ne gâte pas ces bonnes qualités par une sauvagerie affectée, par une brusquerie qui ne va pas à ta condition, qui n’irait à aucune.

— Mais c’est que je ne sais pas tout ce que vous me demandez, vous, monsieur, et que, si vous y réfléchissez, vous verrez que je ne puis le savoir. Je travaille toute la journée dans les jardins, et, ce qu’on fait au château, dame ! je l’ignore.

— Gilbert, Gilbert, j’aurais cru cependant que tu avais des yeux.

— Moi ?

— Oui, et que tu t’intéressais à ceux qui portent mon nom ; car enfin, si mauvaise qu’ait été l’hospitalité de Taverney, tu l’as eue.

— Aussi, monsieur Philippe, je m’intéresse beaucoup à vous, dit Gilbert d’un son de voix strident et rauque, car la mansuétude de Philippe et un autre sentiment que celui-ci ne pouvait deviner avaient amolli ce cœur farouche ; oui, je vous aime, vous, voilà pourquoi je vous dirai que mademoiselle votre sœur est bien malade.