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Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 5.djvu/224

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sachant seul, j’ai monté, j’ai pris la clef dans la cachette, et me voici.

Rousseau se souleva sur les deux bras de son fauteuil.

— Écoutez-moi, dit Gilbert, un moment, un seul moment, et je vous jure, monsieur Rousseau, que je mérite d’être entendu.

— Voyons, répondit Rousseau saisi de stupeur à la vue de cette figure qui n’offrait plus aucune expression des sentiments communs à la généralité des hommes.

— J’aurais dû commencer par vous dire que je suis réduit à une telle extrémité que je ne sais si je dois voler, me tuer, ou faire pis encore… Oh ! ne craignez rien, mon maître et mon protecteur, dit Gilbert d’une voix pleine de douceur ; car je crois, en y réfléchissant, que je n’aurai pas besoin de me tuer et que je mourrai bien sans cela… Depuis huit jours que je me suis enfui de Trianon, je parcours les bois et les plaines sans manger autre chose que des légumes verts ou quelques fruits sauvages dans les bois. Je suis sans forces. Je tombe de fatigue et d’inanition. Quant à voler, ce n’est pas chez vous que je le tenterai ; j’aime trop votre maison, monsieur Rousseau. Quant à cette troisième chose, oh ! pour l’accomplir…

— Eh bien ? fit Rousseau.

— Eh bien ! il me faudrait une résolution que je viens chercher ici.

— Êtes-vous fou ? s’écria Rousseau.

— Non, monsieur, mais je suis bien malheureux, bien désespéré, et me serais noyé dans la Seine ce matin, sans une réflexion qui m’est venue.

— Laquelle ?

— C’est que vous avez écrit : « Le suicide est un vol fait au genre humain. »

Rousseau regarda le jeune homme comme pour lui dire :

— Avez-vous l’amour-propre de croire que c’est à vous que je pensais en écrivant cela ?

— Oh ! je comprends murmura Gilbert.

— Je ne crois pas, dit Rousseau.