Page:Dumas - La Dame de Monsoreau, 1846.djvu/126

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prêts pour demain dix heures. Allez donc, et à l’instant même ! Quélus, Schomberg, faites ouvrir à M. de Monsoreau la porte du Louvre de ma part, de la part du roi ; et toujours de la part du roi, faites-la fermer quand il sera sorti.

Le grand-veneur se retira tout étonné.

— C’est donc une fantaisie du roi ? demanda-t-il aux jeunes gens dans l’antichambre.

— Oui, répondirent laconiquement ceux-ci.

M. de Monsoreau vit qu’il n’y avait rien à tirer de ce côté-là, et se tut.

— Oh ! oh ! murmura-t-il en lui-même en jetant un regard du côté des appartements du duc d’Anjou, il me semble que cela ne flaire pas bon pour Son Altesse Royale.

Mais il n’y avait pas moyen de donner l’éveil au prince ; Quélus et Schomberg se tenaient, l’un à droite, l’autre à gauche du grand-veneur. Un instant il crut que les deux mignons avaient des ordres particuliers et le tenaient prisonnier, et ce ne fut que lorsqu’il se trouva hors du Louvre et qu’il entendit la porte se refermer derrière lui, qu’il comprit que ses soupçons étaient mal fondés.

Au bout de dix minutes, Schomberg et Quélus étaient de retour près du roi.

— Maintenant, dit Henri, du silence, et suivez-moi tous quatre.

— Où allons-nous, sire ? demanda d’Épernon toujours prudent.

— Ceux qui viendront le verront, répondit le roi.

Les mignons assurèrent leurs épées, agrafèrent leurs manteaux et suivirent le roi, qui, un falot à la main, les conduisit par le corridor secret que nous connaissons, et par lequel, plus d’une fois déjà, nous avons vu la reine-mère et le roi Charles IX se rendre chez leur fille et chez leur sœur, cette bonne Margot dont le duc d’Anjou, nous l’avons déjà dit, avait repris les appartements.

Un valet de chambre veillait dans ce corridor ; mais, avant qu’il eût eu le temps de se replier pour avertir son maître, Henri l’avait saisi de sa main en lui ordonnant de se taire, et l’avait passé à ses compagnons, lesquels l’avaient poussé et enfermé dans un cabinet.

Ce fut donc le roi qui tourna lui-même le bouton de la chambre où couchait monseigneur le duc d’Anjou.

Le duc venait de se mettre au lit, bercé par les rêves d’ambition qu’avaient fait naître en lui tous les événements de la soirée : il avait vu son nom exalté et le nom du roi flétri. Conduit par le duc de Guise, il avait vu le peuple parisien s’ouvrir devant lui et ses gentilshommes, tandis que les gentilshommes du roi étaient hués, bafoués, insultés. Jamais, depuis le commencement de cette longue carrière, si pleine de sourdes menées, de timides complots et de mines souterraines, il n’avait encore été si avant dans la popularité, et par conséquent dans l’espérance.

Il venait de déposer sur sa table une lettre que M. de Monsoreau lui avait remise de la part du duc de Guise, lequel lui faisait en même temps recommander de ne pas manquer de se trouver le lendemain au lever du roi.

Le duc d’Anjou n’avait pas besoin d’une pareille recommandation, et s’était bien promis de ne pas se manquer à lui-même à l’heure du triomphe.

Mais sa surprise fut grande quand il vit la porte du couloir secret s’ouvrir, et sa terreur fut au comble lorsqu’il reconnut que c’était sous la main du roi qu’elle s’était ouverte ainsi.

Henri fit signe à ses compagnons de demeurer sur le seuil de la porte, et s’avança vers le lit de François, grave, le sourcil froncé, et sans prononcer une parole.

— Sire, balbutia le duc, l’honneur que me fait Votre Majesté est si imprévu…

— Qu’il vous effraie, n’est-ce pas ? dit le roi, je comprends cela ; mais non, non, demeurez, mon frère, ne vous levez pas.

— Mais, sire, cependant… permettez, fit le duc tremblant et attirant à lui la lettre du duc de Guise qu’il venait d’achever de lire.

— Vous lisiez ? demanda le roi.

— Oui, sire.

— Lecture intéressante, sans doute, puisqu’elle vous tenait éveillé à cette heure avancée de la nuit ?

— Oh ! sire, répondit le duc avec un sourire glacé, rien de bien important, le petit courrier du soir.

— Oui, fit Henri, je comprends cela, courrier du soir, courrier de Vénus, mais non, je me trompe, on ne cachette point avec des sceaux d’une pareille dimension les billets qu’on fait porter par Iris ou par Mercure.

Le duc cacha tout à fait la lettre.

— Il est discret, ce cher François, dit le roi avec un rire qui ressemblait trop à un grincement de dents pour que son frère n’en fût pas effrayé.

Cependant il fit un effort et essaya de reprendre quelque assurance.

— Votre Majesté veut-elle me dire quelque chose en particulier ? demanda le duc à qui un mouvement des quatre gentilshommes demeurés à la porte venaient de révéler qu’ils écoutaient et se réjouissaient du commencement de la scène.

— Ce que j’ai de particulier à vous dire, monsieur, dit le roi en appuyant sur ce mot, qui était celui que le cérémonial de France accorde aux frères des rois, vous trouverez bon que pour aujourd’hui je vous le dise devant témoins. Çà, messieurs, continua-t-il en se retournant vers les quatre jeunes gens, écoutez bien, le roi vous le permet.

Le duc releva la tête.

— Sire, dit-il avec ce regard haineux et plein de venin que l’homme a emprunté au serpent, avant d’insulter un homme de mon rang, vous eussiez dû me refuser l’hospitalité du Louvre ; dans l’hôtel d’Anjou, au moins, j’eusse été maître de vous répondre.

— En vérité, dit Henri avec une ironie terrible, vous oubliez donc que partout où vous êtes, vous êtes mon sujet, et que mes sujets sont chez moi partout où ils sont ; car, Dieu merci, je suis le roi !… le roi du sol !…

— Sire, s’écria François, je suis au Louvre… chez ma mère.

— Et votre mère est chez moi, répondit Henri. Voyons, abrégeons, monsieur : donnez-moi ce papier.

— Lequel ?

— Celui que vous lisiez, parbleu ! celui qui était tout ouvert sur votre table de nuit et que vous avez caché quand vous m’avez vu.

— Sire, réfléchissez ! dit le duc.

— À quoi ? demanda le roi.

— À ceci : que vous faites une demande indigne d’un bon gentilhomme, mais, en revanche, digne d’un officier de votre police.

Le roi devint livide.

— Cette lettre, monsieur ! dit-il.

— Une lettre de femme, sire, réfléchissez ! dit François.

— Il y a des lettres de femmes fort bonnes à voir, fort dangereuses à ne pas être vues, témoin celles qu’écrit notre mère.

— Mon frère ! dit François.

— Cette lettre, monsieur ! s’écria le roi en frappant du pied, ou je vous la fais arracher par quatre Suisses !

Le duc bondit hors de son lit, en tenant la lettre froissée dans ses mains, et avec l’intention manifeste de gagner la cheminée, afin de la jeter dans le feu.

— Vous feriez cela, dit-il, à votre frère ?

Henri devina son intention et se plaça entre lui et la cheminée.

— Non pas à mon frère, dit-il, mais à mon plus mortel ennemi ! Non pas à mon frère, mais au duc d’Anjou, qui a couru toute la soirée les rues de Paris à la queue du cheval de M. de Guise ! à mon frère, qui essaie de me cacher quelque lettre de l’un ou de l’autre de ses complices, MM. les princes lorrains.

— Pour cette fois, dit le duc, votre police est mal faite.

— Je vous dis que j’ai vu sur le cachet ces trois fameuses merlettes de Lorraine, qui ont la prétention d’avaler les fleurs de lis de France. Donnez donc, mordieu ! donnez, ou…