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Page:Dumas - La Dame de Monsoreau, 1846.djvu/157

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Et le front du grand-veneur se rembrunit à cette idée, qui ne se présentait pas à son esprit pour la première fois.

— Oh ! oh ! murmura-t-il, moi qui venais d’abord voir le prince, remettant à demain de voir ma femme. Aurais-je donc le bonheur de les voir tous les deux en même temps ?

Un sourire terrible passa sur les lèvres du grand-veneur.

Le cheval allait toujours, continuant d’appuyer à droite avec une ténacité qui indiquait la marche la plus résolue et la plus sûre.

— Mais, sur mon âme, pensa Monsoreau, je ne dois plus maintenant être bien loin du parc de Méridor.

En ce moment, le cheval se mit à hennir.

Au même instant, un autre hennissement lui répondit du fond de la feuillée.

— Ah ! ah ! dit le grand veneur, voilà Roland qui a trouvé ses compagnons, à ce qu’il paraît.

Le cheval redoublait de vitesse, passant comme l’éclair sous les hautes futaies.

Soudain Monsoreau aperçut un mur et un cheval attaché près de ce mur. Le cheval hennit une seconde fois, et Monsoreau reconnut que c’était lui qui avait dû hennir la première.

— Il y a quelqu’un ici ! dit Monsoreau pâlissant.


CHAPITRE LX.

CE QUE VENAIT ANNONCER M. LE COMTE DE MONSOREAU.


M. de Monsoreau marchait de surprise en surprise : le mur de Méridor rencontré comme par enchantement, ce cheval caressant le cheval qui l’avait amené, comme s’il eût été de sa plus intime connaissance, il y avait certes là de quoi faire réfléchir les moins soupçonneux.

En s’approchant, et l’on devine si M. de Monsoreau s’approcha vivement, en s’approchant, il remarqua la dégradation du mur à cet endroit ; c’était une véritable échelle, qui menaçait de devenir une brèche ; les pieds semblaient s’être creusé des échelons dans la pierre, et les ronces, arrachées fraîchement, pendaient à leurs branches meurtries.

Le comte embrassa tout l’ensemble d’un coup d’œil, puis de l’ensemble il passa aux détails.

Le cheval méritait le premier rang, il l’obtint.

L’indiscret animal portait une selle garnie d’une housse brodée d’argent. Dans un des coins était un double F, entrelaçant un double A.

C’était, à n’en pas douter, un cheval des écuries du prince, puisque le chiffre faisait : François d’Anjou.

Les soupçons du comte, à cette vue, devinrent de véritables alarmes. Le duc était donc venu de ce côté ; il y venait donc souvent, puisque, outre le cheval attaché, il y en avait un second qui savait le chemin.

Monsoreau conclut, puisque le hasard l’avait mis sur cette piste, qu’il fallait suivre cette piste jusqu’au bout.

C’était d’abord dans ses habitudes de grand-veneur et de mari jaloux.

Mais, tant qu’il resterait de ce côté du mur, il était évident qu’il ne verrait rien.

En conséquence, il attacha son cheval près du cheval voisin, et commença bravement l’escalade.

C’était chose facile, un pied appelait l’autre ; la main avait ses places toutes faites pour se poser, la courbe du bras était dessinée sur les pierres à la surface de la crête du mur, et l’on avait soigneusement élagué avec un couteau de chasse un chêne dont à cet endroit les rameaux embarrassaient la vue et empêchaient le geste.

Tant d’efforts furent couronnés d’un entier succès. M. de Monsoreau ne fut pas plutôt établi à son observatoire, qu’il aperçut au pied d’un arbre une mantille bleue et un manteau de velours noir. La mantille appartenait sans conteste à une femme, et le manteau noir à un homme ; d’ailleurs, il n’y avait point à chercher bien loin, l’homme et la femme se promenaient à cinquante pas de là, les bras enlacés, tournant le dos au mur, et cachés d’ailleurs par le feuillage du buisson.

Malheureusement pour M. de Monsoreau, qui n’avait pas habitué le mur à ses violences, un moellon se détacha du chaperon et tomba brisant les branches jusque sur l’herbe : là il retentit avec un écho mugissant.

À ce bruit, il paraît que les personnages dont le buisson cachait les traits à M. de Monsoreau se retournèrent et l’aperçurent, car un cri de femme aigu et significatif se fit entendre, puis un frôlement dans le feuillage avertit le comte qu’ils se sauvaient comme deux chevreuils effrayés.

Au cri de la femme, Monsoreau avait senti la sueur de l’angoisse lui monter au front. Il avait reconnu la voix de Diane.

Incapable dès lors de résister au mouvement de fureur qui l’emportait, il s’élança du haut du mur, et, son épée à la main, se mit à fendre buissons et rameaux pour suivre les fugitifs.

Mais tout avait disparu, rien ne troublait plus le silence du parc ; pas une ombre au fond des allées, pas une trace dans les chemins, pas un bruit dans les massifs, si ce n’est le chant des rossignols et des fauvettes qui, habitués à voir les deux amants, n’avaient pu être effrayés par eux.

Que faire en présence de la solitude ? que résoudre ? où courir ? Le parc était grand ; on pouvait, en poursuivant ceux qu’on cherchait, rencontrer ceux que l’on ne cherchait pas.

M. de Monsoreau songea que la découverte qu’il avait faite suffisait pour le moment ; d’ailleurs, il se sentait lui-même sous l’empire d’un sentiment trop violent pour agir avec la prudence qu’il convenait de déployer vis-à-vis d’un rival aussi redoutable que l’était François ; car il ne doutait pas que ce rival ne fût le prince. Puis si, par hasard, ce n’était pas lui, il avait près du duc d’Anjou une mission pressée à accomplir ; d’ailleurs, il verrait bien, en se retrouvant près du prince, ce qu’il devait penser de sa culpabilité ou de son innocence.

Puis, une idée sublime lui vint. C’était de franchir le mur à l’endroit même où il l’avait déjà escaladé, et d’enlever avec le sien le cheval de l’intrus surpris par lui dans le parc.

Ce projet vengeur lui donna des forces ; il reprit sa course et arriva au pied du mur, haletant et couvert de sueur.

Alors, s’aidant de chaque branche, il parvint au faîte et retomba de l’autre côté ; mais, de l’autre côté, plus de cheval, ou, pour mieux dire, plus de chevaux. L’idée qu’il avait eue était si bonne, qu’avant de lui venir, à lui, elle était venue à son ennemi, et que son ennemi en avait profité.

M. de Monsoreau, accablé, laissa échapper un rugissement de rage, montrant le poing à ce démon malicieux, qui, bien certainement, riait de lui dans l’ombre déjà épaisse du bois ; mais, comme chez lui la volonté n’était pas facilement vaincue, il réagit contre les fatalités successives qui semblaient prendre à tâche de l’accabler : en s’orientant à l’instant même, malgré la nuit qui descendait rapidement, il réunit toutes ses forces et regagna Angers par un chemin de traverse qu’il connaissait depuis son enfance.

Deux heures et demie après, il arrivait à la porte de la ville, mourant de soif, de chaleur et de fatigue : mais l’exaltation de la pensée avait donné des forces au corps, et c’était toujours le même homme volontaire et violent à la fois.

D’ailleurs, une idée le soutenait : il interrogerait la sentinelle, ou plutôt les sentinelles ; il irait de porte en porte ; il saurait par quelle porte un homme était entré avec deux chevaux ; il viderait sa bourse, il ferait des promesses d’or, et il connaîtrait le signalement de cet homme. Alors, quel qu’il fût, prochainement ou plus tard, cet homme lui payerait sa dette.

Il interrogea la sentinelle ; mais la sentinelle venait d’être placée et ne savait rien. Il entra au corps de garde et s’informa : le milicien qui descendait de garde avait vu, il y avait deux heures à peu près, rentrer un cheval sans maître, qui avait repris tout seul le chemin du palais.

Il avait alors pensé qu’il était arrivé quelque accident au