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— Oui, oui, j’irai là, dit-il, et j’y serai bien. On n’y peut recevoir que quatre personnes au plus. C’est une forteresse et par la fenêtre on voit à trois cents pas de distance ceux qui viennent vous faire visite.

— De sorte ? demanda Remy.

— De sorte qu’on peut les éviter quand on veut, dit Monsoreau, surtout quand on se porte bien.

Bussy se mordit les lèvres, il craignait qu’il ne vînt un temps où Monsoreau l’éviterait à son tour.

Diane soupira. Elle se souvenait avoir vu, dans cette petite maison, Bussy blessé, évanoui sur son lit.

Remy réfléchit ; aussi fut-il le premier des trois qui parla.

— Vous ne le pouvez pas, dit-il.

— Et pourquoi cela, s’il vous plaît, monsieur le docteur ?

— Parce qu’un grand-veneur de France a des réceptions à faire, des valets à entretenir, des équipages à soigner. Qu’il ait un palais pour ses chiens, cela se conçoit, mais qu’il ait un chenil pour lui, c’est impossible.

— Hum ! fit Monsoreau d’un ton qui voulait dire : c’est vrai.

— Et puis, dit Remy, car je suis le médecin du cœur comme celui du corps, ce n’est pas votre séjour ici qui vous préoccupe.

— Qu’est-ce donc ?

— C’est celui de madame.

— Eh bien ?

— Eh bien ! faites déménager la comtesse.

— M’en séparer, s’écria Monsoreau en fixant sur Diane un regard où il y avait, certes, plus de colère que d’amour.

— Alors, séparez-vous de votre charge, donnez votre démission de grand-veneur ; je crois que ce serait sage, car vraiment ou vous ferez ou vous ne ferez pas votre service. Si vous ne le faites pas, vous mécontenterez le roi, et si vous le faites…

— Je ferai ce qu’il faudra faire, dit Monsoreau les dents serrées, mais je ne quitterai pas la comtesse.

Le comte achevait ces mots, lorsqu’on entendit dans la cour un grand bruit de chevaux et de voix.

Monsoreau frémit.

— Encore le duc ! murmura-t-il.

— Oui, justement, dit Remy en allant à la fenêtre.

Le jeune homme n’avait point achevé que, grâce au privilège qu’ont les princes d’entrer sans être annoncés, le duc entra dans la chambre.

Monsoreau était aux aguets, il vit que le premier coup d’œil de François avait été pour Diane.

Bientôt les galanteries intarissables du duc l’éclairèrent mieux encore ; il apportait à Diane un de ces rares bijoux comme en faisaient trois ou quatre en leur vie ces patients et généreux artistes qui illustrèrent un temps où, malgré cette lenteur à les produire, les chefs-d’œuvre étaient plus fréquents qu’aujourd’hui.

C’était un charmant poignard au manche d’or ciselé ; ce manche était un flacon ; sur la lame courait toute une chasse, burinée avec un merveilleux talent : chiens, chevaux, chasseurs, gibier, arbres et ciel, s’y confondaient dans un pêle-mêle harmonieux qui forçait le regard à demeurer longtemps fixé sur cette lame d’azur et d’or.

— Voyons, dit Monsoreau, qui craignait qu’il n’y eût quelque billet caché dans le manche.

Le prince alla au-devant de cette crainte en le séparant en deux parties.

— À vous qui êtes chasseur, la lame, dit-il ; à la comtesse, le manche. Bonjour, Bussy, vous voilà donc ami intime avec le comte, maintenant ?

Diane rougit.

Bussy, au contraire, demeura assez maître de lui-même.

— Monseigneur, dit-il, vous oubliez que Votre Altesse elle-même m’a chargé ce matin de venir savoir des nouvelles de M. de Monsoreau. J’ai obéi, comme toujours, aux ordres de Votre Altesse.

— C’est vrai, dit le duc.

Puis il alla s’asseoir près de Diane et lui parla bas.

Au bout d’un instant :

— Comte, dit-il, il fait horriblement chaud dans cette chambre de malade. Je vois que la comtesse étouffe, et je vais lui offrir le bras pour lui faire faire un tour de jardin.

Le mari et l’amant échangèrent un regard courroucé.

Diane, invitée à descendre, se leva et posa son bras sur celui du prince.

— Donnez-moi le bras, dit Monsoreau à Bussy.

Et Monsoreau descendit derrière sa femme.

— Ah ! ah ! dit le duc, il paraît que vous allez tout à fait bien ?

— Oui, Monseigneur, et j’espère être bientôt en état de pouvoir accompagner madame de Monsoreau partout où elle ira.

— Bon ! mais en attendant il ne faut pas vous fatiguer.

Monsoreau lui-même sentait combien était juste la recommandation du prince.

Il s’assit à un endroit d’où il ne pouvait le perdre de vue.

— Tenez, comte, dit-il à Bussy, si vous étiez bien aimable, dès ce soir vous escorteriez madame de Monsoreau jusqu’à mon petit hôtel de la Bastille ; je l’y aime mieux qu’ici, en vérité. Arrachée à Méridor aux griffes de ce vautour, je ne le laisserai pas la dévorer à Paris.

— Non pas, monsieur, dit Remy à son maître, non pas, vous ne pouvez accepter.

— Et pourquoi cela ? dit Monsoreau.

— Parce que vous êtes à M. d’Anjou, et que M. d’Anjou ne vous pardonnerait jamais d’avoir aidé le comte à lui jouer un pareil tour.

Que m’importe ? allait s’écrier l’impétueux jeune homme, lorsque un coup d’œil de Remy lui indiqua qu’il devait se taire.

Monsoreau réfléchissait.

— Remy a raison, dit-il, ce n’est point de vous que je dois réclamer un pareil service ; j’irai moi-même la conduire, car, demain ou après-demain, je serai en mesure d’habiter cette maison.

— Folie, dit Bussy, vous perdrez votre charge.

— C’est possible, dit le comte, mais je garderai ma femme.

Et il accompagna ces paroles d’un froncement de sourcils qui fit soupirer Bussy.

En effet, le soir même, le comte conduisit sa femme à sa maison des Tournelles, bien connue de nos lecteurs.

Remy aida le convalescent à s’y installer.

Puis, comme c’était un homme d’un dévouement à toute épreuve, comme il comprit que, dans ce local resserré, Bussy aurait grand besoin de lui, il se rapprocha de Gertrude, qui commença par le battre, et finit par lui pardonner.

Diane reprit sa chambre, située sur le devant, cette chambre au portail et au lit de damas blanc et or.

Un corridor seulement séparait cette chambre de celle du comte de Monsoreau.

Bussy s’arrachait des poignées de cheveux.

Saint-Luc prétendait que les échelles de corde, étant arrivées à leur plus haute perfection, pouvaient à merveille remplacer les escaliers.

Monsoreau se frottait les mains et souriait en songeant au dépit de M. le duc d’Anjou.


CHAPITRE LXXIX.

UNE VISITE À LA MAISON DES TOURNELLES.


La surexcitation tient lieu à quelques hommes de passion réelle, comme la faim donne au loup et à la hyène une apparence de courage.

C’était sous l’impression d’un sentiment pareil que M. d’Anjou, dont le dépit ne pourrait se décrire lorsqu’il ne retrouva plus Diane à Méridor, était revenu à Paris ; à son retour il était presque amoureux de cette femme, et cela justement parce qu’on la lui enlevait.

Il en résultait que sa haine pour Monsoreau, haine qui