Page:Dumas - La Femme au collier de velours, 1861.djvu/10

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comme une vision charmante, me montrait cette chaste figure de jeune fille, de jeune femme et de mère, je me laissai emporter au courant de ce fleuve qu’on appelle la mémoire, et qui remonte le passé au lieu de descendre vers l’avenir.

Alors je fus pris de ce sentiment si égoïste, et par conséquent si naturel à l’homme, qui le pousse à ne point garder sa pensée à lui seul, à doubler l’étendue de ses sensations en les communiquant, et à verser enfin dans une autre âme la liqueur douce ou amère qui remplit son âme.

Je pris une plume et j’écrivis :

« À bord du Véloce, en vue de Carthage et de Tunis, le 4 décembre 1856.
« Madame,

» En ouvrant une lettre datée de Carthage et de Tunis, vous vous demanderez qui peut vous écrire d’un pareil endroit, et vous espérerez recevoir un autographe de Régulus ou de Louis IX. Hélas ! madame, celui qui met de si loin son humble souvenir à vos pieds n’est ni un héros ni un saint, et s’il a jamais en quelque ressemblance avec l’évêque d’Hippone, dont il y a trois jours il visitait le tombeau, ce n’est qu’à la première partie de la vie de ce grand homme que cette ressemblance peut être applicable. Il est vrai que, comme lui, il peut racheter cette première partie de la vie par la seconde. Mais il est déjà bien tard pour faire pénitence, et, selon toute probabilité, il mourra com-