Page:Dumas - La Femme au collier de velours, 1861.djvu/8

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Je sautai en bas de mon cadre, je passai un pantalon à pieds, je montai sur le pont, et je regardai en face et autour de moi.

J’espérais que le merveilleux paysage qui se déroulait sous mes yeux allait distraire mon esprit de cette préoccupation, d’autant plus obstinée qu’elle avait une cause moins réelle.

J’avais devant moi, à une portée de fusil, la jetée qui s’étendait du fort de la Goulette au fort de l’Arsenal, laissant un étroit passage aux bâtimens qui veulent pénétrer du golfe dans le lac. Ce lac, aux eaux bleues comme l’azur du ciel qu’elles réfléchissaient, était tout agité, dans certains endroits, par les battemens d’ailes d’une troupe de cygnes, tandis que, sur des pieux plantés de distance en distance pour indiquer des bas-fonds, se tenait immobile, pareil à ces oiseaux qu’on sculpte sur les sépulcres, un cormoran qui, tout à coup, se laissait tomber comme une pierre, plongeait pour attraper sa proie, revenait à la surface de l’eau avec un poisson au travers du bec, avalait ce poisson, remontait sur son pieu, et reprenait sa taciturne immobilité jusqu’à ce qu’un nouveau poisson, passant à sa portée, sollicitât son appétit, et, l’emportant sur sa paresse, le fît disparaître de nouveau pour reparaître encore.

Et pendant ce temps, de cinq minutes en cinq minutes, l’air était rayé par une file de flamans dont les ailes de pourpre se détachaient sur le blanc mat de leur plumage, et, formant un dessin carré, semblaient un jeu de cartes composé d’as de carreau seulement, et volant sur une seule ligne.

À l’horizon était Tunis, c’est-à-dire un amas de maisons