Page:Dumas - La Reine Margot (1886), tome 2.djvu/103

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D’Alençon venait de recevoir une lettre et s’était renfermé dans sa chambre pour la lire en toute liberté.

Quant à Coconnas, il demandait son ami à tous les échos du Louvre.

En effet, comme on le pense bien, Coconnas, assez peu surpris de ne pas voir rentrer La Mole de toute la nuit, avait commencé dans la matinée à concevoir quelque inquiétude ; il s’était en conséquence mis à la recherche de son ami, commençant son investigation par l’hôtel de la Belle-Étoile, passant de l’hôtel de la Belle-Étoile à la rue Cloche-Percée, de la rue Cloche-Percée à la rue Tizon, de la rue Tizon au pont Saint-Michel, enfin du pont Saint-Michel au Louvre.

Cette investigation avait été faite, vis-à-vis de ceux auxquels elle s’adressait, d’une façon tantôt si originale, tantôt si exigeante, ce qui est facile à concevoir quand on connaît le caractère excentrique de Coconnas, qu’elle avait suscité entre lui et trois seigneurs de la cour des explications qui avaient fini à la mode de l’époque, c’est-à-dire sur le terrain. Coconnas avait mis à ces rencontres la conscience qu’il mettait d’ordinaire à ces sortes de choses ; il avait tué le premier et blessé les deux autres, en disant :

— Ce pauvre La Mole, il savait si bien le latin !

C’était au point que le dernier, qui était le baron de Boissey, lui avait dit en tombant :

— Ah ! pour l’amour du ciel, Coconnas, varie un peu, et dis au moins qu’il savait le grec.

Enfin, le bruit de l’aventure du corridor avait transpiré : Coconnas s’en était gonflé de douleur, car un instant il avait cru que tous ces rois et tous ces princes lui avaient tué son ami, et l’avaient jeté dans quelque oubliette.

Il apprit que d’Alençon avait été de la partie, et passant par-dessus la majesté qui entourait le prince du sang, il l’alla trouver et lui demanda une explication comme il l’eût fait envers un simple gentilhomme.

D’Alençon eut d’abord bonne envie de mettre à la porte l’impertinent qui venait lui demander compte de ses actions ; mais Coconnas parlait d’un ton de voix si bref, ses yeux flamboyaient d’un tel éclat, l’aventure des trois duels en moins de vingt-quatre heures avait placé le Piémontais si haut, qu’il réfléchit, et qu’au lieu de se livrer à son premier mouvement, il répondit à son gentilhomme avec un charmant sourire :