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François II sur le trône et notre père Henri à Saint-Denis. Il faut si peu de chose à Dieu pour faire beaucoup !

Le duc sentit la sueur ruisseler sur son front pendant ce choc aussi redoutable qu’imprévu.

Il était impossible que le roi dît plus clairement à son frère qu’il avait tout deviné. Charles, voilant sa colère sous une ombre de plaisanterie, était peut-être plus terrible encore que s’il eût laissé la lave haineuse qui lui dévorait le cœur se répandre bouillante au dehors ; sa vengeance paraissait proportionnée à sa rancune. À mesure que l’une s’aigrissait, l’autre grandissait, et pour la première fois d’Alençon connut le remords, ou plutôt le regret d’avoir conçu un crime qui n’avait pas réussi.

Il avait soutenu la lutte tant qu’il avait pu, mais sous ce dernier coup il plia la tête, et Charles vit poindre dans ses yeux cette flamme dévorante qui, chez les êtres d’une nature tendre, creuse le sillon par où jaillissent les larmes.

Mais d’Alençon était de ceux-là qui ne pleurent que de rage.

Charles tenait fixé sur lui son œil de vautour, aspirant pour ainsi dire chacune des sensations qui se succédaient dans le cœur du jeune homme. Et toutes ces sensations lui apparaissaient aussi précises, grâce à cette étude approfondie qu’il avait faite de sa famille, que si le cœur du duc eût été un livre ouvert.

Il le laissa ainsi un instant écrasé, immobile et muet ; puis d’une voix empreinte de haineuse fermeté :

— Mon frère, dit-il, nous vous avons dit notre résolution, et notre résolution est immuable : vous partirez.

D’Alençon fit un mouvement. Charles ne parut pas le remarquer et continua :

— Je veux que la Navarre soit fière d’avoir pour prince un frère du roi de France. Or, pouvoir, honneurs, vous aurez tout ce qui convient à votre naissance, comme votre frère Henri l’a eu, et comme lui, ajouta-t-il en souriant, vous me bénirez de loin. Mais n’importe, les bénédictions ne connaissent pas la distance.

— Sire…

— Acceptez, ou plutôt résignez-vous. Une fois roi, on vous trouvera une femme digne d’un fils de France. Qui sait ! qui vous apportera un autre trône peut-être.