Page:Dumas - La Reine Margot (1886), tome 2.djvu/91

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— Six semaines ! s’écria Charles. Ma mère, les tailleurs, les brodeuses et les joailliers travaillent depuis le jour où l’on a appris la nomination de mon frère. À la rigueur, tout pourrait être prêt pour aujourd’hui ; mais, à coup sûr, tout sera prêt dans trois ou quatre jours.

— Oh ! murmura Catherine, vous êtes plus pressé encore que je ne le croyais, mon fils.

— Honneur pour honneur, je vous l’ai dit.

— Bien. C’est donc cet honneur fait à la maison de France qui vous flatte, n’est-ce pas ?

— Assurément.

— Et voir un fils de France sur le trône de Pologne est votre plus cher désir ?

— Vous dites vrai.

— Alors c’est le fait, c’est la chose et non l’homme qui vous préoccupe, et quel que soit celui qui règne là-bas…

— Non pas, non pas, ma mère, corbœuf ! demeurons-en où nous sommes ! Les Polonais ont bien choisi. Ils sont adroits et forts, ces gens-là ! Nation militaire, peuple de soldats, ils prennent un capitaine pour prince, c’est logique, peste ! d’Anjou fait leur affaire : le héros de Jarnac et de Montcontour leur va comme un gant… Qui voulez-vous que je leur envoie ? d’Alençon ? un lâche ! cela leur donnerait une belle idée des Valois !… D’Alençon ! il fuirait à la première balle qui lui sifflerait aux oreilles, tandis que Henri d’Anjou, un batailleur, bon ! toujours l’épée au poing, toujours marchant en avant, à pied ou à cheval !… Hardi ! pique, pousse, assomme, tue ! Ah ! c’est un homme que mon frère d’Anjou, un vaillant qui va les faire battre du matin au soir, depuis le premier jusqu’au dernier jour de l’année. Il boit mal, c’est vrai ; mais il les fera tuer de sang-froid, voilà tout. Il sera là dans sa sphère, ce cher Henri ! Sus ! sus ! au champ de bataille ! Bravo les trompettes et les tambours ! Vive le roi ! vive le vainqueur ! vive le général ! On le proclame imperator trois fois l’an ! Ce sera admirable pour la maison de France et l’honneur des Valois… Il sera peut-être tué ; mais, ventre-mahon ! ce sera une mort superbe !

Catherine frissonna et un éclair jaillit de ses yeux.

— Dites, s’écria-t-elle, que vous voulez éloigner Henri d’Anjou, dites que vous n’aimez pas votre frère !