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LA REINE MARGOT.

nésie dont chacun abrège sa vie de dix ans ; j’ai à dire que ces accès se renouvellent, par malheur, bien souvent maintenant, ce qui fait que, selon toute probabilité, notre frère Charles n’a pas longtemps à vivre ; j’ai à dire enfin que le roi de Pologne vient de mourir et qu’il est fort question d’élire en sa place un prince de la maison de France ; j’ai à dire enfin que, lorsque les circonstances se présentent ainsi, ce n’est point le moment d’abandonner des alliés qui, au moment du combat, peuvent nous soutenir avec le concours d’un peuple et l’appui d’un royaume.

— Et vous, s’écria le duc, ne me faites-vous pas une trahison bien plus grande de préférer un étranger à votre frère ?

— Expliquez-vous, François ; en quoi et comment vous ai-je trahi ?

— Vous avez demandé hier au roi la vie du roi de Navarre.

— Eh bien ? demanda Marguerite avec une feinte naïveté.

Le duc se leva précipitamment, fit deux ou trois fois le tour de la chambre d’un air égaré, puis revint prendre la main de Marguerite.

Cette main était raide et glacée.

— Adieu, ma sœur, dit-il ; vous n’avez pas voulu me comprendre, ne vous en prenez donc qu’à vous des malheurs qui pourront vous arriver.

Marguerite pâlit, mais demeura immobile à sa place. Elle vit sortir le duc d’Alençon sans faire un signe pour le rappeler ; mais à peine l’avait-elle perdu de vue dans le corridor qu’il revint sur ses pas.

— Écoutez, Marguerite, dit-il, j’ai oublié de vous dire une chose : c’est que demain, à pareille heure, le roi de Navarre sera mort.

Marguerite poussa un cri ; car cette idée qu’elle était l’instrument d’un assassinat lui causait une épouvante qu’elle ne pouvait surmonter.

— Et vous n’empêcherez pas cette mort ? dit-elle ; vous ne sauverez pas votre meilleur et votre plus fidèle allié ?

— Depuis hier, mon allié n’est plus le roi de Navarre.

— Et qui est-ce donc, alors ?

— C’est M. de Guise. En détruisant les huguenots, on a fait M. de Guise roi des catholiques.