Page:Dumas - La Reine Margot (1886).djvu/185

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
177
LA REINE MARGOT.

reçu en partant de sa famille à acheter le plus beau justaucorps de satin blanc et la plus riche broderie de manteau que lui pût procurer le tailleur à la mode. Le même lui fournit encore les bottes de cuir parfumé qu’on portait à cette époque. Le tout lui fut apporté le matin, une demi-heure seulement après l’heure pour laquelle La Mole l’avait demandé, ce qui fait qu’il n’eut trop rien à dire. Il s’habilla rapidement, se regarda dans son miroir, se trouva assez convenablement vêtu, coiffé, parfumé pour être satisfait de lui-même ; enfin il s’assura par plusieurs tours faits rapidement dans sa chambre qu’à part plusieurs douleurs assez vives, le bonheur moral ferait taire les incommodités physiques.

Un manteau cerise de son invention, et taillé un peu plus long qu’on ne les portait alors, lui allait particulièrement bien.

Tandis que cette scène se passait au Louvre, une autre du même genre avait lieu à l’hôtel de Guise. Un grand gentilhomme à poil roux examinait devant une glace une raie rougeâtre qui lui traversait désagréablement le visage ; il peignait et parfumait sa moustache, et tout en la parfumant, il étendait sur cette malheureuse raie, qui, malgré tous les cosmétiques en usage à cette époque, s’obstinait à reparaître, il étendait, dis-je, une triple couche de blanc et de rouge ; mais comme l’application était insuffisante, une idée lui vint : un ardent soleil, un soleil d’août dardait ses rayons dans la cour ; il descendit dans cette cour, mit son chapeau à la main, et le nez en l’air et les yeux fermés, il se promena pendant dix minutes, s’exposant volontairement à cette flamme dévorante qui tombait par torrents du ciel.

Au bout de dix minutes, grâce à un coup de soleil de premier ordre, le gentilhomme était arrivé à avoir un visage si éclatant, que c’était la raie rouge qui maintenant n’était plus en harmonie avec le reste et qui par comparaison paraissait jaune. Notre gentilhomme ne parut pas fort moins satisfait de cet arc-en-ciel, qu’il rassortit de son mieux avec le reste du visage, grâce à une couche de vermillon qu’il étendit dessus ; après quoi il endossa un magnifique habit qu’un tailleur avait mis dans sa chambre avant qu’il n’eût demandé le tailleur.

Ainsi paré, musqué, armé de pied en cap, il descendit une seconde fois dans la cour et se mit à caresser un grand che-