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LA REINE MARGOT.

lement au fond de son esprit la pensée qui y avait germé et qui devait y mûrir.

René attendit respectueusement, la bougie à la main, que la reine, qui paraissait prête à se retirer, lui donnât de nouveaux ordres ou lui adressât de nouvelles questions.

Catherine fit plusieurs pas la tête inclinée, le doigt sur la bouche et en gardant le silence.

Puis s’arrêtant tout à coup devant René et relevant sur lui son œil rond et fixe comme celui d’un oiseau de proie :

— Avoue-moi que tu as fait pour elle quelque philtre, dit-elle.

— Pour qui ? demanda René en tressaillant.

— Pour la Sauve.

— Moi, Madame, dit René, jamais !

— Jamais ?

— Sur mon âme, je vous le jure.

— Il y a cependant de la magie, car il l’aime comme un fou, lui qui n’est pas renommé par sa constance.

— Qui lui, Madame ?

— Lui, Henri le maudit, celui qui succédera à nos trois fils, celui qu’on appellera un jour Henri IV, et qui cependant est le fils de Jeanne d’Albret.

Et Catherine accompagna ces derniers mots d’un soupir qui fit frissonner René, car il lui rappelait les fameux gants que, par ordre de Catherine, il avait préparés pour la reine de Navarre.

— Il y va donc toujours ? demanda René.

— Toujours, dit Catherine.

— J’avais cru cependant que le roi de Navarre était revenu tout entier à sa femme.

— Comédie, René, comédie. Je ne sais dans quel but, mais tout se réunit pour me tromper. Ma fille elle-même, Marguerite, se déclare contre moi ; peut-être, elle aussi, espère-t-elle la mort de ses frères, peut-être espère-t-elle être reine de France.

— Oui, peut-être, dit René, rejeté dans sa rêverie et se faisant l’écho du doute terrible de Catherine.

— Enfin, dit Catherine, nous verrons, et elle s’achemina vers la porte du fond, jugeant sans doute inutile de descendre par l’escalier secret, puisqu’elle était sûre d’être seule.