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LA REINE MARGOT.

— Ainsi donc, murmura-t-il, celui que vous nommez votre ami sait non-seulement les détails de cet empoisonnement, mais il en connaît l’auteur ?

— Oui, et c’est pour cela qu’il eût voulu savoir de vous si vous auriez sur le prince de Porcian qui reste cette influence de lui faire pardonner au meurtrier la mort de son frère.

— Malheureusement, répondit Henri, étant encore à moitié huguenot, je n’ai aucune influence sur M. le prince de Porcian : votre ami aurait donc tort de s’adresser à moi.

— Mais que pensez-vous des dispositions de M. le prince de Condé et de M. de Porcian ?

— Comment connaîtrais-je leurs dispositions, René ? Dieu, que je sache, ne m’a point donné le privilège de lire dans les cœurs.

— Votre Majesté peut s’interroger elle-même, dit le Florentin avec calme. N’y a-t-il pas dans la vie de Votre Majesté quelque événement si sombre qu’il puisse servir d’épreuve à la clémence, si douloureux qu’il soit une pierre de touche pour la générosité ?

Ces mots furent prononcés avec un accent qui fit frissonner Charlotte elle-même : c’était une allusion tellement directe, tellement sensible, que la jeune femme se détourna pour cacher sa rougeur et pour éviter de rencontrer le regard de Henri.

Henri fit un suprême effort sur lui-même ; il désarma son front, qui, pendant les paroles du Florentin, s’était chargé de menaces, et changeant la noble douleur filiale qui lui étreignait le cœur en vague méditation :

— Dans ma vie, dit-il, un événement sombre… non, René, non, je ne me rappelle de ma jeunesse que la folie et l’insouciance mêlées aux nécessités plus ou moins cruelles qu’imposent à tous les besoins de la nature et les épreuves de Dieu.

René se contraignit à son tour en promenant son attention de Henri à Charlotte, comme pour exciter l’un et retenir l’autre ; car Charlotte, en effet, se remettant à sa toilette pour cacher la gêne que lui inspirait cette conversation, venait de nouveau d’étendre la main vers la boîte d’opiat.

— Mais enfin, sire, si vous étiez le frère du prince de Porcian, ou le fils du prince de Condé, et qu’on eût empoisonné votre frère ou assassiné votre père…