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LA REINE MARGOT.

que lui tenait ouverte une duègne d’une quarantaine d’années, se glissa rapidement jusqu’à la rue du Roi-de-Sicile, frappa à une petite porte de l’hôtel d’Argenson qui s’ouvrit devant elle, sortit par la grande porte du même hôtel, qui donnait Vieille-rue-du-Temple, alla gagner une petite poterne de l’hôtel de Guise, l’ouvrit avec une clef qu’elle avait dans sa poche, et disparut.

Une demi-heure après, un jeune homme, les yeux bandés, sortait par la même porte de la même petite maison, guidé par une femme qui le conduisait au coin de la rue Geoffroy-Lasnier et de la Mortellerie. Là, elle l’invita à compter jusqu’à cinquante et à ôter son bandeau.

Le jeune homme accomplit scrupuleusement la recommandation, et au chiffre convenu ôta le mouchoir qui lui couvrait les yeux.

— Mordi ! s’écria-t-il en regardant tout autour de lui, si je sais où je suis, je veux être pendu ! Six heures ! s’écria-t-il en entendant sonner l’horloge de Notre-Dame. Et ce pauvre La Mole, que peut-il être devenu ? Courons au Louvre, peut-être là en saura-t-on des nouvelles.

Et ce disant, Coconnas descendit tout courant la rue de la Mortellerie et arriva aux portes du Louvre en moins de temps qu’il n’en eût fallu à un cheval ordinaire ; il bouscula et démolit sur son passage cette haie mobile des braves bourgeois qui se promenaient paisiblement autour des boutiques de la place de Baudoyer, et entra dans le palais.

Là il interrogea suisse et sentinelle. Le suisse croyait bien avoir vu entrer M. de La Mole le matin, mais il ne l’avait pas vu sortir. La sentinelle n’était là que depuis une heure et demie et n’avait rien vu.

Il monta tout courant à la chambre et en ouvrit la porte précipitamment ; mais il ne trouva dans la chambre que le pourpoint de La Mole tout lacéré, ce qui redoubla encore ses inquiétudes.

Alors il songea à La Hurière et courut chez le digne hôtelier de la Belle-Étoile. La Hurière avait vu La Mole ; La Mole avait déjeuné chez La Hurière. Coconnas fut donc entièrement rassuré, et, comme il avait grand’faim, il demanda à souper à son tour.

Coconnas était dans les deux dispositions nécessaires pour bien souper : il avait l’esprit rassuré et l’estomac vide ; il