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LA REINE MARGOT.

Eh bien ! faites de moi le plus aimé et le plus heureux de vos favoris. Des autres vous avez percé le cœur, et vous gardez ce cœur ; de moi, vous faites plus, vous exposez ma tête… Eh bien ! Marguerite, jurez-moi devant l’image de ce Dieu qui m’a sauvé la vie ici même, jurez-moi que si je meurs pour vous, comme un sombre pressentiment me l’annonce, jurez-moi que vous garderez, pour y appuyer quelquefois vos lèvres, cette tête que le bourreau aura séparée de mon corps ; jurez, Marguerite, et la promesse d’une telle récompense, faite par ma reine, me rendra muet, traître et lâche au besoin, c’est-à-dire tout dévoué, comme doit l’être votre amant et votre complice.

— Ô lugubre folie, ma chère âme ! dit Marguerite, ô fatale pensée, mon doux amour !

— Jurez…

— Que je jure ?

— Oui, sur ce coffret d’argent que surmonte une croix. Jurez.

— Eh bien ! dit Marguerite, si, ce qu’à Dieu ne plaise ! tes sombres pressentiments se réalisaient, mon beau gentilhomme, sur cette croix, je te le jure, tu seras près de moi, vivant ou mort, tant que je vivrai moi-même ; et si je ne puis te sauver dans le péril où tu te jettes pour moi, pour moi seule, je le sais, je donnerai du moins à ta pauvre âme la consolation que tu demandes et que tu auras si bien méritée.

— Un mot encore, Marguerite. Je puis mourir maintenant, me voilà rassuré sur ma mort ; mais aussi je puis vivre, nous pouvons réussir : le roi de Navarre peut être roi, vous pouvez être reine, alors le roi vous emmènera ; ce vœu de séparation fait entre vous se rompra un jour et amènera la nôtre. Allons, Marguerite, chère Marguerite bien-aimée, d’un mot vous m’avez rassuré sur ma mort, d’un mot maintenant rassurez-moi sur ma vie.

— Oh ! ne crains rien, je suis à toi corps et âme, s’écria Marguerite en étendant de nouveau la main sur la croix du petit coffre : si je pars, tu me suivras ; et si le roi refuse de t’emmener, c’est moi alors qui ne partirai pas.

— Mais vous n’oserez résister !

— Mon Hyacinthe bien-aimé, dit Marguerite tu ne connais pas Henri ; Henri ne songe en ce moment qu’à une