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LA REINE MARGOT.

bien que tu ne le connais pas comme moi. S’il se dévoue jamais à quelque chose, ce sera à son ambition et voilà tout. Ton frère est-il homme à lui faire de grandes promesses, oh ! alors, très-bien : il sera dévoué à ton frère ; mais que ton frère, tout fils de France qu’il est, prenne garde de manquer aux promesses qu’il lui aura faites, ou sans cela, ma foi, gare à ton frère !

— Vraiment ?

— C’est comme je te le dis. En vérité, Marguerite, il y a des moments où ce tigre que j’ai apprivoisé me fait peur à moi-même. L’autre jour, je lui disais : Annibal, prenez-y garde, ne me trompez pas, car si vous me trompiez !… Je lui disais cependant cela avec mes yeux d’émeraude qui ont fait dire à Ronsard :


La duchesse de Nevers
Aux yeux verts
Qui, sous leur paupière blonde,
Lancent sur nous plus d’éclairs
Que ne font vingt Jupiters
Dans les airs,
Lorsque la tempête gronde.


— Eh bien ?

— Eh bien ! je crus qu’il allait me répondre : Moi, vous tromper ! moi, jamais ! etc., etc… Sais-tu ce qu’il m’a répondu ?

— Non.

— Eh bien ! juge l’homme : Et vous, a-t-il répondu, si vous me trompiez, prenez garde aussi ; car, toute princesse que vous êtes… Et, en disant ces mots, il me menaçait, non-seulement des yeux, mais de son doigt sec et pointu, muni d’un ongle taillé en fer de lance, et qu’il me mit presque sous le nez. En ce moment, ma pauvre reine, je te l’avoue, il avait une physionomie si peu rassurante que j’en tressaillis, et, tu le sais cependant, je ne suis pas trembleuse.

— Te menacer, toi, Henriette ! il a osé ?

— Eh ! mordi ! je le menaçais bien, moi ! Au bout du compte, il a eu raison. Ainsi, tu le vois, dévoué jusqu’à un certain point, ou plutôt jusqu’à un point très-incertain.