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LA REINE MARGOT.

des choses de Dieu, seule compensation qu’il y ait en ce monde aux choses des hommes. Tiens, écoute ces vers, par lesquels je l’invite à me rejoindre ; je les ai faits ce matin.

Coligny sourit. Charles IX passa sa main sur son front jaune et poli comme de l’ivoire, et dit avec une espèce de chant cadencé les vers suivants :

Ronsard, je connais bien que si tu ne me vois
Tu oublies soudain de ton grand roi la voix,
Mais, pour ton souvenir, pense que je n’oublie
Continuer toujours d’apprendre en poésie,
Et pour ce j’ai voulu t’envoyer cet écrit,
Pour enthousiasmer ton fantastique esprit.

Donc ne t’amuse plus aux soins de ton ménage,
Maintenant n’est plus temps de faire jardinage ;
Il faut suivre ton roi, qui t’aime par sus tous,
Pour les vers qui de toi coulent braves et doux,
Et crois, si tu ne viens me trouver à Amboise,
Qu’entre nous adviendra une bien grande noise.

— Bravo ! sire, bravo ! dit Coligny ; je me connais mieux en choses de guerre qu’en choses de poésie, mais il me semble que ces vers valent les plus beaux que fassent Ronsard, Dorat et même Michel de l’Hospital, chancelier de France.

— Ah ! mon père ! s’écria Charles IX, que ne dis-tu vrai ! car le titre de poëte, vois-tu, est celui que j’ambitionne avant toutes choses ; et, comme je le disais il y a quelques jours à mon maître en poésie :

L’art de faire des vers, dût-on s’en indigner,
Doit être à plus haut prix que celui de régner ;
Tous deux également nous portons des couronnes :
Mais roi, je les reçus, poëte, tu les donnes ;
Ton esprit, enflammé d’une céleste ardeur,
Éclate par soi-même et moi par ma grandeur.
Si du côté des dieux je cherche l’avantage,
Ronsard est leur mignon et je suis leur image
Ta lyre, qui ravit par de si doux accords,
Te soumet les esprits dont je n’ai que les corps ;