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Page:Dumas - La Tulipe noire (1892).djvu/11

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LA TULIPE NOIRE.

lande, dédaigneux de flatter le goût national, et amis inflexibles d’une liberté sans licence et d’une prospérité sans superflu, de même que derrière le stathoudérat il voyait le front incliné, grave et réfléchi du jeune Guillaume d’Orange, que ses contemporains baptisèrent du nom de Taciturne, adopté par la postérité.

Les deux de Witt ménageaient Louis XIV, dont ils sentaient grandir l’ascendant moral sur toute l’Europe, et dont ils venaient de sentir l’ascendant matériel sur la Hollande par le succès de cette campagne merveilleuse du Rhin, illustrée par ce héros de roman qu’on appelait le comte de Guiche, et chantée par Boileau, campagne qui en trois mois venait d’abattre la puissance des Provinces-Unies.

Louis XIV était depuis longtemps l’ennemi des Hollandais, qui l’insultaient ou le raillaient de leur mieux, presque toujours, il est vrai, par la bouche des Français réfugiés en Hollande. L’orgueil national en faisait le Mithridate de la république. Il y avait donc contre les de Witt la double animation qui résulte d’une vigoureuse résistance suivie par un pouvoir luttant contre le goût de la nation et de la fatigue naturelle à tous les peuples vaincus quand ils espèrent qu’un autre chef pourra les sauver de la ruine et de la honte.

Cet autre chef, tout prêt à paraître, tout prêt à se mesurer contre Louis XIV, si gigantesque que parût devoir être sa fortune future, c’était Guillaume, prince d’Orange, fils de Guillaume II, et petit-fils, par Henriette Stuart, du roi Charles Ier d’Angleterre, ce taciturne enfant, dont nous avons déjà dit que l’on voyait apparaître l’ombre derrière le stathoudérat.