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Page:Dumas - La Tulipe noire (1892).djvu/143

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L’intérêt de notre histoire d’ailleurs ne consiste pas dans un certain nombre de descriptions d’intérieur. Pour van Baerle, la vie était autre chose qu’un appareil respiratoire. Le pauvre prisonnier aimait au-delà de sa machine pneumatique deux choses dont la pensée seulement, cette libre voyageuse, pouvait désormais lui fournir la possession factice.

Une fleur et une femme, l’une et l’autre à jamais perdues pour lui.

Il se trompait par bonheur, le bon van Baerle ! Dieu, qui l’avait, au moment où il marchait à l’échafaud, regardé avec le sourire d’un père, Dieu lui réservait au sein même de sa prison, dans la chambre de M. Grotius, l’existence la plus aventureuse que jamais tulipier ait eue en partage.

Un matin, à sa fenêtre, tandis qu’il humait l’air frais qui montait du Wahal et qu’il admirait dans le lointain, derrière une forêt de cheminées, les moulins de Dordrecht sa patrie, il vit des pigeons accourir en foule de ce point de l’horizon et se percher tout frissonnants au soleil sur les pignons aigus de Loewestein.

— Ces pigeons, se dit van Baerle, viennent de Dordrecht et par conséquent ils y peuvent retourner. Quelqu’un qui attacherait un mot à l’aile de ces pigeons courrait la chance de faire passer de ses nouvelles à Dordrecht, où on le pleure.

Puis, après un moment de rêverie,

Ce quelqu’un-là, ajouta van Baerle, ce sera moi.

On est patient quand on a vingt-huit ans et qu’on est condamné à une prison perpétuelle, c’est-à-dire à quelque