Page:Dumas - La Tulipe noire (1892).djvu/15

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sans hâter l’événement par tous les moyens en son pouvoir, que le peuple dont il était l’idole, lui eût fait du corps des deux frères les deux marches dont il avait besoin pour monter au siège du stathoudérat.

Or, le 20 août 1672, comme nous l’avons dit en commençant ce chapitre, toute la ville courait au Buytenhoff pour assister à la sortie de prison de Corneille de Witt, partant pour l’exil, et voir quelles traces la torture avait laissées sur le noble corps de cet homme qui savait si bien son Horace.

Empressons-nous d’ajouter que toute cette multitude qui se rendait au Buytenhoff ne s’y rendait pas seulement dans cette innocente intention d’assister à un spectacle, mais que beaucoup, dans ses rangs, tenaient à jouer un rôle, ou plutôt à doubler un emploi qu’ils trouvaient avoir été mal rempli.

Nous voulons parler de l’emploi de bourreau.

Il y en avait d’autres, il est vrai, qui accouraient avec des intentions moins hostiles. Il s’agissait pour eux seulement de ce spectacle toujours attrayant pour la multitude, dont il flatte l’instinctif orgueil, de voir dans la poussière celui qui a été longtemps debout.

Ce Corneille de Witt, cet homme sans peur, disait-on, n’était-il pas enfermé, affaibli par la torture ? n’allait-on pas le voir, pâle, sanglant, honteux ? n’était-ce pas un beau triomphe pour cette bourgeoisie bien autrement envieuse encore que le peuple, et auquel tout bon bourgeois de la Haye devait prendre part ?

Et puis, se disaient les agitateurs orangistes, habilement mêlés à toute cette foule qu’ils comptaient bien manier comme un instrument tranchant et contondant à la fois,