Page:Dumas - La Villa Palmieri.djvu/76

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frêles avantages d’une beauté qui devait mourir. Chaque jour mon cœur s’élève, s’adoucit, s’améliore en elle ; et j’oserai dire, j’oserai croire qu’il en est d’elle comme de moi, et que son cœur, en s’appuyant sur le mien, y puise une nouvelle force. »

Alfieri habita dix ans cette maison, à laquelle il reconnaît sur sa santé et son génie une si heureuse influence, c’est-à-dire qu’il y entra à l’âge de quarante-cinq ans. Ce fut là qu’après avoir lu Homère et les tragiques grecs dans des traductions littérales, il se remit à l’étude de la langue de Démosthènes, écrivit la seconde Alceste, finit son Misogallo, termina sa carrière poétique par la Talcutodia, conçut le plan de six comédies à la fois, institua son ordre d’Homère dont il se décora de sa propre main ; las, épuisé, renonça à toute entreprise nouvelle, et, plus propre, comme il le dit lui-même, désormais à défaire qu’à faire, sortit volontairement de la quatrième époque de sa vie en se constituant vieux à cinquante-cinq ans, après avoir passé vingt-huit ans à inventer, à vérifier, à traduire et à étudier.

Les Mémoires d’Alfieri s’arrêtent au 4 mai 1803. À cette époque sa santé était entièrement détruite. Comme chez Schiller, l’âme avait chez Alfieri usé le corps avant l’âge. La goutte qu’il éprouvait à tous les changemens de saison l’avait pris dès le mois d’avril, plus fâcheuse que de coutume, sans doute parce qu’elle l’avait trouvé plus épuisé qu’à l’ordinaire. Alors, comme depuis un an déjà Alfieri sentait sa digestion devenir de plus en plus difficile, il se mit en tête qu’il affaiblirait son mal en réduisant encore le peu de nourriture qu’il prenait, et que d’un autre côté son estomac, plus libre par l’inaction à laquelle il le condamnait, laisserait plus de lucidité à son esprit. Le résultat de ce régime, auquel Byron dut aussi, selon toute probabilité, sa mort prématurée, fut bientôt visible chez Alfieri ; déjà arrivé à un état de maigreur inquiétant, il devint plus maigre encore de jour en jour. Alors la comtesse d’Albany essaya d’user de son influence pour décider le malade à renoncer à cette diète fatale, mais pour la première fois ses prières furent sans influence En même temps, comme si Alfieri eût senti la mort venir, il travaillait sans relâche à ses comédies ;