Vers les onze heures, nous arrivâmes à Bauso ; Pietro fit arrêter la voiture à la porte d’une espèce d’auberge, la seule qu’il y eût dans le pays. L’hôte vint nous recevoir de l’air le plus affable du monde, son chapeau à la main et son tablier retroussé : son air de bonhomie me frappa, et j’en exprimai ma satisfaction à Pietro en lui disant que son maestro di casa avait l’air d’un brave homme.
— Oh ! oui, c’est un brave homme, répondit Pietro, et il ne mérite pas tout le chagrin qu’on lui a fait.
— Et qui lui a donc fait du chagrin ? demandai-je.
— Hum ! fit Pietro.
— Mais enfin ?
Il s’approcha de mon oreille.
— La police, dit-il.
— Comment, la police ?
— Oui, vous comprenez. On est Sicilien, on est vif ; on a une dispute. Eh bien ! on joue du couteau ou du fusil.
— Oui, et notre hôte a joué à ce jeu-là, à ce qu’il paraît ?
— Il était provoqué, le brave homme, car quant à lui, il est doux comme une fille.
— Et alors ?
— Eh bien alors ! dit Pietro, accouchant à grand’peine du corps du délit, eh bien ! il a tué deux hommes, un d’un coup de couteau et l’autre d’un coup de fusil : quand je dis tué, il y en a un qui n’était que blessé ; seulement il est mort au bout de huit jours.
— Ah ! ah !
— Mais voyez-vous, méchanceté pure : un autre en aurait guéri, mais lui c’était une vieille haine avec ce pauvre Guiga ; et il s’est laissé mourir pour lui faire pièce.
— Ainsi, ce brave homme s’appelle Guiga ? demandai-je.
— C’est-à-dire, c’est un surnom qu’on lui a donné ; mais son vrai nom est Santo-Coraffe.
— Et la police l’a tourmenté pour cette bagatelle ?
— Comment, tourmenté ! c’est-à-dire qu’on l’a mis en prison comme un voleur. Heureusement qu’il avait du bien, car, tel que vous le voyez, il a plus de 500 onces de revenu, le gaillard.