Page:Dumas - Le Capitaine Aréna.djvu/187

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charge le premier à la tête de son régiment ; il monte le premier à l’assaut ; il entre premier dans les villes. Aussi est-il fait successivement, et en moins de six ans, général de division, général en chef, maréchal de l’empire, prince, grand-amiral, grand-aigle de la Légion d’honneur, grand-duc de Berg, roi de Naples. Celui qui voulait s’appeler Marat va s’appeler Joachim Napoléon.

Mais le roi des Deux-Siciles est toujours le soldat de Rivoli et le général d’Aboukir. Il a fait de son sabre un sceptre, et de son casque une couronne ; voilà tout. Ostrowno, Smolensk et la Moscowa le retrouvent tel que l’avaient connu la Corona et le Tagliamento ; et le 16 septembre 1812 il entra le premier à Moscou, comme le 13 novembre 1805 il est entré le premier à Vienne.

Ici s’arrête la vie glorieuse et triomphante. Moscou est l’apogée de la grandeur de Murat et de Napoléon. Mais l’un est un héros, l’autre n’est qu’un homme. Napoléon va tomber, Murat va descendre.

Le 5 décembre 1812, Napoléon remet le commandement de l’armée à Murat. Napoléon a fait Murat ce qu’il est ; Murat lui doit tout, grades, position, fortune : il lui a donné sa sœur et un trône. À qui se fiera Napoléon, s’il ne se fie point à Murat, ce garçon d’auberge qu’il a fait roi ?

L’heure des trahisons va venir ; Murat la devance. Murat quitte l’armée, Murat tourne le dos à l’ennemi, Murat l’invincible est vaincu par la peur de perdre son trône. Il arrive à Naples pour marchander sa couronne aux ennemis de la France ; des négociations se nouent avec l’Autriche et la Russie. Que le vainqueur d’Austerlitz et de Marengo tombe maintenant, qu’importe ! le fuyard de Wilna restera debout.

Mais Napoléon a frappé du pied le sol, et 300,000 soldats en sont sortis. Le géant terrassé a touché sa mère, et comme Antée il est debout pour une nouvelle lutte. Murat écoute avec inquiétude ce canon septentrional qui retentit encore au fond de la Saxe quand il croit l’étranger au cœur de la France. Deux noms de victoire arrivent jusqu’à lui et le font tressaillir : Lutzen, Bautzen. À ce bruit, Joachim redevient Murat ; il redemande son sabre d’honneur et son cheval de bataille. De la même course dont il avait fui, le voilà qui