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Page:Dumas - Le Capitaine Aréna.djvu/4

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Le baron Pisani était riche, il avait une magnifique villa, il était âgé de trente-cinq ans à peine ; il fit le sacrifice de sa jeunesse, de son palais, de sa fortune. Sa vie devint celle d’un garde-malade, son palais fut échangé contre un appartement de quatre ou cinq chambres, et de toute sa fortune il ne se réserva que six mille livres de rente. Ce fut lui-même qui voulut bien se charger de nous faire les honneurs de son établissement. Il avait choisi pour cette visite le dimanche, qui est un jour de fête pour ses administrés. Nous nous arrêtâmes devant une maison de fort belle apparence, qui n’avait que ceci de particulier, que toutes les fenêtres en étaient grillées, mais encore fallait-il être prévenu pour s’en apercevoir. Ces grillages, travaillés et peints, représentaient, les uns des ceps de vigne chargés de raisins, les autres des convolvuli aux longues feuilles et aux clochettes bleues ; tout cela perdu dans des fleurs et des fruits naturels qu’au toucher seulement on pouvait distinguer des fleurs et des fruits peints.

La porte nous fut ouverte par un concierge en habit ordinaire ; seulement au lieu de l’attirail obligé d’un gardien de fous, armé ordinairement d’un bâton et orné d’un trousseau de clés, il avait un bouquet au côté et une flûte à la main. En entrant, le baron Pisani lui demanda comment les choses allaient ; il répondit que tout allait bien. La première personne que nous rencontrâmes dans le corridor fut une espèce de commissionnaire qui portait une charge de bois. En apercevant monsieur Pisani, il vint à lui, et, posant sa charge de bois à terre, il lui prit en souriant sa main, qu’il baisa. Le baron lui demanda pourquoi il n’était pas dans le jardin à s’amuser avec les autres ; mais il lui répondit que, comme l’hiver approchait, il pensait qu’il n’avait pas de temps à perdre pour descendre le bois du grenier à la cave. Le baron l’encouragea dans cette bonne disposition, et le commissionnaire reprit ses fagots et continua sa route.

C’était un des propriétaires les plus riches de Castelveterano, qui, n’ayant jamais su s’occuper, était tombé dans une espèce de spleen qui l’avait conduit tout droit à la folie. On l’avait alors amené au baron Pisani, qui, l’ayant pris à