cachée derrière un épais tapis. Elle doit être à jeun, et pour elle comme pour son mari ce jeûne doit durer trois jours.
Le repas se sert à terre sur un tapis. Il se compose de schislick, — c’est le seul plat de viande qui y paraisse, — d’un pilaw aux raisins, de miel, de pâte, d’eau miellée et d’eau claire.
Le pain est de froment, souvent pétri avec du lait.
Nous avons dit ailleurs ce que c’est que le schislick et comment s’apprête ce plat, le meilleur que j’aie rencontré dans tout mon voyage, le seul qui vaille la peine d’être ajouté aux plats déjà connus en France.
Pour les chasseurs surtout, le schislick sera une précieuse importation.
Revenons à la noce tatare.
Tout le monde mange avec des doigts aux ongles rougis par le hennah, dont on retrouve la coutume dans l’Orient du nord comme dans l’Orient du midi.
Quelques femmes cependant, avec une adresse merveilleuse, mangent le riz à l’aide de petits bâtons pareils à ceux dont se servent les Chinois.
Le repas commence vers six heures du soir.
À dix les femmes se lèvent.
Les compagnes de la mariée s’avancent pour recevoir les présents du mari.
C’est une cruche pour aller à la fontaine, une tasse de cuivre pour puiser de l’eau, une espèce de tapis de laine d’agneau qui sert en même temps de matelas, une cuve pour faire la lessive, un petit coffre construit dans les montagnes, il est peint en rouge avec des fleurs grossièrement dessinées ; s’il vient de Makarieff il est fait de tôle vernie, jaune, blanche, couverte avec des cercles en fer-blanc qui, tant qu’ils sont neufs ou bien entretenus, simulent des cercles d’argent.
À ces objets sont ajoutés d’habitude un second voile, un miroir, deux ou trois tasses en faïence, un foulard, des soies à coudre et à broder.
La mariée monte à cheval, des femmes portent des lanternes, éclairent la marche, et elle est conduite dans sa nouvelle famille et dans sa future demeure ; sur le seuil son mari l’attend et la reçoit.
Mais la mariée a grand soin de ne pas quitter la maison paternelle sans avoir reçu sa dot, qui lui appartient en toute propriété.
Cette dot, pour une jeune fille, est de vingt-cinq roubles ;
Pour une veuve en premières noces, de douze roubles ;
Et pour une veuve en secondes noces, de six.
Il va sans dire qu’il n’y a rien d’absolu, que les prix varient selon la richesse et la réputation de beauté ; on marchande, surtout lorsqu’il s’agit d’une veuve.
Chamyll adore les enfants, et pendant tout le temps que dura la captivité de la princesse Tchawsawadze et de la princesse Orbeliani, il se fit tous les matins apporter les petits princes et les petites princesses.
Il passait alors une heure à jouer avec eux, et ne les renvoyait jamais sans leur faire quelques présents.
Les enfants, de leur côté, s’étaient habitués à Chamyll et pleuraient en se séparant de lui.
Maintenant reste Djemmal-Eddin, dont notre officier ne put rien nous dire. Djemmal-Eddin étant à cette époque prisonnier des Russes, il ne le vit point.
Mais nous, soyez tranquilles, nous le verrons lorsque nous raconterons l’enlèvement et la captivité des princesses géorgiennes.
CHAPITRE XXVIII.
À midi précis, comme la chose avait été arrêtée la veille, nous prenions congé de notre excellent commandant et de sa famille.
Il nous avait donné une escorte de douze hommes commandée par le plus brave de ses essaouls, Nourmat-Mat.
Nourmat-Mat devait nous accompagner jusqu’à Noukha. Les Lesguiens étaient en campagne. On parlait de bestiaux volés, de gens de la plaine emmenés dans la campagne. Nourmat-Mat répondait de nous corps pour corps.
Notre sortie de Schumaka avait, grâce aux deux fauconniers qui nous précédaient, l’oiseau au poing, un petit air moyen âge qui eût fait plaisir à tout ce qui reste encore en France de l’école historique de 1830.
De Schumaka à Axous, — la nouvelle Schumaka, — il y a une apparence de chaussée : la route n’est donc pas absolument mauvaise ; en outre, aux deux côtés du chemin commencent à reparaître les djergey-derevos, c’est-à-dire ces fameux buissons épineux auxquels résistent les seuls draps lesguiens.
Depuis Bakou nous n’avions pas vu un arbre.
Sur la route de Schumaka nous revoyions non-seulement des arbres, mais encore des feuilles.
La température était tiède, le ciel pur, les horizons d’un bleu charmant. Nous fîmes en une heure et demie les vingt verstes qui nous séparaient du rendez-vous de chasse.
Ce rendez-vous, nous le reconnûmes de loin. Deux Tatars nous attendaient avec deux chevaux de main et trois chiens en laisse.
C’était pour suivre la chasse du faucon.
Nous mîmes pied à terre. Mais comme tout le long de la route j’avais vu folâtrer des lièvres, je me jetai à pied dans les djergey-derevos pour commencer ma chasse par le poil, me faisant suivre par mon Tatar et mon cheval.
Moynet en fit autant.
Nous n’avions pas fait cent pas que nous avions tué chacun notre lièvre.
En outre, j’avais fait lever un vol de faisans dont j’avais suivi la remise.
Je montai à cheval et appelai nos fauconniers.
Ils accoururent avec leurs chiens.
Je leur montrai l’endroit où les faisans s’étaient abattus. Nous lâchâmes les chiens et nous nous acheminâmes vers la remise.
Arrivés au point que j’avais indiqué, nous nous trouvâmes au beau milieu de la bande de faisans, qui partirent tout autour de nous. Nos deux fauconniers lâchèrent leur deux faucons.
Je suivis l’un, Moynet l’autre.
Au bout de deux cents pas, le faisan que je suivais était dans les serres de mon faucon.