part de l’imam chercher les princesses, les enfants et leur suite.
La princesse Orbéliani, marchant la première, monta l’échelle par laquelle on arrive à la forteresse ; mais une fois entrées, fit descendre aux prisonnières plusieurs étages, et elles se trouvèrent dans une espèce de souterrain à peine éclairé. Cependant, au milieu de ces demi-ténèbres elles commencèrent à se reconnaître. Quatre des enfants étaient là : Georges Orbéliani, Salome, la petite Tamara et le petit Alexandre.
Une demi-heure après arriva, demi-morte, la princesse Tchawtchawadzé. Son premier mot fut :
— Lydie ! qui de vous a vu Lydie ?
Personne ne lui répondit, et elle tomba sur le sol plutôt qu’elle ne s’assit.
Elle était à demi morte de fatigue et presque morte de douleur.
En ce moment, un enfant de l’âge de la petite Lydie se mit à pleurer.
— Ma fille ! s’écria la princesse, ma fille !
— Non, dit une voix, ce n’est point votre fille, princesse. C’est ma petite sœur, qui, elle aussi, n’a que quatre mois, et qui depuis hier matin n’a rien pris : elle va mourir.
— Non, dit la princesse, donnez-la-moi.
Et elle prit la petite Éva et lui donna son sein en sanglotant.
En ce moment Hadji-Khérieh entra.
— Chamyll demande la princesse Tchawtchawadzé, dit-il.
— Que lui veut-il ? demanda la princesse.
— Il veut lui parler.
— Qu’il vienne, alors ; quant à moi, je n’irai pas.
— Il est imam, dit Hadji-Khérich.
— Et moi princesse, répondit la prisonnière.
Hadji-Khérieh se retira.
Lorsqu’il rapporta le refus de la princesse à l’imam, celui-ci réfléchit un instant ;
Puis,
— C’est bien, dit-il, conduisez-les à Veden : là je les verrai.
CHAPITRE XLIII.
Cependant le souterrain se remplissait de curieux. Ce qui les attirait particulièrement, c’était le bruit qui s’était répandu que la veuve et le fils du prince Ellico Orbéliani venaient d’arriver à Pokhalsky.
Or, le prince Ellico Orbéliani était populaire chez les Lesguiens. C’était pour eux un de ces ennemis que tout à la fois on craint, on estime et on admire.
Il avait été prisonnier de Chamyll, conduit à Veden et amené à l’imam. Celui-ci s’était réjoui en apprenant qui il était : dans chaque prisonnier d’importance qu’il faisait il voyait un moyen d’échange contre son fils Djemmal-Eddin.
Aussi Chamyll avait-il fait venir devant lui le prince Ellico.
— Ta liberté dépend de toi, lui avait-il dit.
— Mets-y un prix, avait répondu le prince, et s’il n’est pas au-dessus de ma fortune, je te le payerai.
— Il ne s’agit point d’argent.
— De quoi s’agit-il donc ?
— Tête pour tête.
— Je ne te comprends pas.
— Écris à l’empereur Nicolas de me rendre mon fils, et contre mon fils je t’échange.
— Tu es fou, lui avait répondu le prince ; est-ce que l’on écrit de ces choses-là à l’empereur Nicolas ?
Et il avait tourné le dos à Chamyll.
Chamyll fit reconduire le prince à sa prison sans ajouter une parole. Six mois se passèrent.
Au bout de six mois, Chamyll le fit revenir devant lui et renouvela la même proposition.
Le prince fit la même réponse.
— C’est bien, dit Chamyll, qu’on le mette au trou.
Le trou, à Veden, c’est quelque chose comme la prison Mamertine à Rome. On y descend par une échelle, et l’échelle retirée, la trappe fût-elle ouverte, il est impossible d’en sortir.
Une cruche d’eau et du pain noir complètent la ressemblance qu’il y a entre la prison Mamertine et le trou.
Dans l’un comme dans l’autre, c’est la mort au bout de quelque temps, et cela sans que le bourreau s’en mêle : on n’a qu’à laisser faire l’humidité.
De temps en temps on venait de la part de Chamyll demander au prince s’il consentait à écrire à l’empereur. Le prince avait fini par ne plus même répondre.
Il est vrai que sa faiblesse était arrivée au point qu’à peine pouvait-il parler. On prévint Chamyll qu’un séjour d’une semaine encore dans l’horrible prison, c’était la mort du prince.
Il l’en fit tirer.
On le conduisit alors dans la cour qui précède le harem. D’une des cellules entourant cette cour, Chamyll pouvait voir tout ce qui allait se passer.
Un naïb vint à la rencontre du prince Ellico avec neuf hommes armés de fusil.
— Ellico Orbéliani, lui dit le naïb, Chamyll, irrité de tes refus, a décidé que tu allais mourir. Seulement, il te donne le choix de la mort.
— Je choisis celle qui me débarrassera le plus vite de l’ennui d’être son prisonnier. Tu as des hommes armés, qu’on me fusille.
On place le prince contre la muraille, en face de la cellule par laquelle le regarde Chamyll, on arme les fusils, on le met en joue, on va faire feu.
En ce moment Chamyil paraît, fait un signe, les fusils s’abaissent.
— Ellico, lui dit Chamyll, on m’avait dit que tu étais brave ; maintenant, j’ai vu de mes yeux que l’on m’avait dit la vérité. Je n’exige plus rien de toi, que ta parole de ne pas fuir. À cette condition tu es libre.
Le prince donna sa parole.
Le prince fut échangé contre des prisonniers tatars, et Chamyll se montra très-facile dans les arrangements.
Le prince Ellico quitta Veden après un séjour de neuf