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Eh bien, chose étrange, ingratitude inouïe : pas un poëte n’a encore eu l’idée de faire une ode au nez.
Il faut que ce soit à moi, qui ne suis pas poëte, ou qui du moins n’ai la prétention que de venir après nos grands poëtes, qu’une idée comme celle-là pousse.
En vérité, le nez a du malheur.
Les hommes ont inventé tant de choses pour les yeux…
On a fait pour eux des chansons, des compliments, des kaléidoscopes, des tableaux, des décorations, des lunettes.
Et pour les oreilles,
D’abord les boucles d’oreille, Robert le Diable, Guillaume Tell, fra Diavolo, les violons de Stradivarius, les pianos d’Érard, les trompettes de Sax.
Et pour la bouche,
Carême, la Cuisinière bourgeoise, l’Almanach des gastronomes, le Dictionnaire des gourmands ; on lui a fait des soupes de toute espèce, depuis la batwigne russe jusqu’à la soupe au chou française ; on lui fait manger la réputation des plus grands hommes, depuis les côtelettes à la Soubise jusqu’au boudin à la Richelieu. On a comparé ses lèvres à du corail, ses dents à des perles, son haleine à du benjoin. On lui a servi des paons avec leurs plumes, des bécasses sans être vidées. On lui promet enfin pour l’avenir des alouettes toutes rôties.
Qu’a-t-on inventé pour le nez ?
L’essence de rose et le tabac à priser.
Ah ! c’est de l’ingratitude, philosophes mes maîtres, poëtes mes confrères.
Et cependant, avec quelle fidélité ce membre… — Ce n’est pas un membre, me crieront les savants. — Pardon, messieurs, je me reprends, avec quelle fidélité cet appendice, ah ! — et cependant, disais-je, avec quelle fidélité cet appendice ne nous sert-il pas !