Page:Dumas - Le Chevalier de Maison-Rouge, 1853.djvu/102

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
84
LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

Maurice l’enveloppa de ses bras, la rapprocha vivement de lui, et, avant qu’elle eût eu le temps de se défendre, il appuya ses lèvres sur l’œil moitié souriant, moitié languissant, qui regardait la caisse ravagée.

Geneviève avait tant de choses à se reprocher, qu’elle fut indulgente. Dixmer revint tard, et, lorsqu’il revint, il trouva Morand, Geneviève et Maurice qui causaient botanique dans le jardin.


CHAPITRE XX

La bouquetière



E nfin, ce fameux jeudi, jour de la garde de Maurice, arriva.

On entrait dans le mois de juin. Le ciel était d’un bleu foncé, et sur cette nappe d’indigo se détachait le blanc mat des maisons neuves. On commençait à pressentir l’arrivée de ce chien terrible que les anciens représentaient altéré d’une soif inextinguible, et qui, au dire des Parisiens de la plèbe, lèche si bien les pavés. Paris était net comme un tapis, et des parfums tombés de l’air, montant des arbres, émanant des fleurs, circulaient et enivraient, comme pour faire oublier un peu aux habitants de la capitale cette vapeur de sang qui fumait sans cesse sur le pavé de ses places.

Maurice devait entrer au Temple à neuf heures ; ses deux collègues étaient Mercevault et Agricola. À huit heures, il était vieille rue Saint-Jacques, en grand costume de citoyen municipal, c’est-à-dire avec une écharpe tricolore serrant sa taille souple et nerveuse ; il était venu, comme d’habitude, à cheval chez Geneviève, et, sur sa route, il avait pu recueillir les éloges et les approbations nullement dissimulées des bonnes patriotes qui le regardaient passer.

Geneviève était déjà prête : elle portait une simple robe de mousseline, une espèce de mante en taffetas léger, un petit bonnet orné de la cocarde tricolore. Dans ce simple appareil elle était d’une éblouissante beauté.

Morand, qui s’était, comme nous l’avons vu, beaucoup fait prier, avait, de peur d’être suspecté d’aristocratie sans doute, pris l’habit de tous les jours, cet habit moitié bourgeois, moitié artisan. Il venait de rentrer seulement, et son visage portait la trace d’une grande fatigue.

Il prétendit avoir travaillé toute la nuit pour achever une besogne pressée.

Dixmer était sorti aussitôt le retour de son ami Morand.

— Eh bien, demanda Geneviève, qu’avez-vous décidé, Maurice, et comment verrons-nous la reine ?

— Écoutez, dit Maurice, mon plan est fait. J’arrive avec vous au Temple ; je vous recommande à Lorin, mon ami, qui commande la garde ; je prends mon poste, et, au moment favorable, je vais vous chercher.

— Mais, demanda Morand, où verrons-nous les prisonniers, et comment les verrons-nous ?

— Pendant leur déjeuner ou leur dîner, si cela vous convient, à travers le vitrage des municipaux.

— Parfait ! dit Morand.

Maurice vit alors Morand s’approcher de l’armoire du fond de la salle à manger, et boire à la hâte un verre de vin pur. Cela le surprit. Morand était fort sobre et ne buvait ordinairement que de l’eau rougie.

Geneviève s’aperçut que Maurice regardait le buveur avec étonnement.

— Figurez-vous, dit-elle, qu’il se tue avec son travail, ce malheureux Morand, de sorte qu’il est capable de n’avoir rien pris depuis hier matin.

— Il n’a donc pas dîné ici ? demanda Maurice.

— Non, il fait des expériences en ville.

Geneviève prenait une précaution inutile. Maurice, en véritable amant, c’est-à-dire en égoïste, n’avait remarqué cette action de Morand qu’avec cette attention superficielle que l’homme amoureux accorde à tout ce qui n’est pas la femme qu’il aime.

À ce verre de vin, Morand ajouta une tranche de pain qu’il avala précipitamment.

— Et maintenant, dit le mangeur, je suis prêt, cher citoyen Maurice ; quand vous voudrez, nous partirons.

Maurice, qui effeuillait les pistils flétris d’un des