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Page:Dumas - Le Chevalier de Maison-Rouge, 1853.djvu/129

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LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

Onze heures sonnèrent, puis midi.

Au moment où le dernier coup retentissait sur le timbre de bronze, un bruit d’armes commença d’emplir l’escalier en spirale et de monter jusqu’à la reine.

— Ce sont les sentinelles qu’on relève, dit-elle. On va venir nous chercher. Elle vit que sa sœur et sa fille pâlissaient.

— Courage ! dit-elle en pâlissant elle-même.

— Il est midi, cria-t-on d’en bas ; faites descendre les prisonnières.

— Nous voici, messieurs, répondit la reine, qui, avec un sentiment presque mêlé de regret, embrassa d’un dernier coup d’œil et salua d’un dernier regard les murs noirs et les meubles, sinon grossiers, du moins bien simples, compagnons de sa captivité.

Le premier guichet s’ouvrit : il donnait sur le corridor. Le corridor était sombre, et, dans cette obscurité, les trois captives pouvaient dissimuler leur émotion. En avant, courait le petit Black ; mais, lorsqu’on fut arrivé au second guichet, c’est-à-dire à cette porte dont Marie-Antoinette essayait de détourner les yeux, le fidèle animal vint coller son museau sur les clous à large tête, et, à la suite de plusieurs petits cris plaintifs, fit entendre un gémissement douloureux et prolongé. La reine passa vite sans avoir la force de rappeler son chien, et en cherchant le mur pour s’appuyer.

Après avoir fait quelques pas, les jambes manquèrent à la reine, et elle fut forcée de s’arrêter. Sa sœur et sa fille se rapprochèrent d’elle, et, un instant, les trois femmes demeurèrent immobiles, formant un groupe douloureux, la mère tenant son front appuyé sur la tête de madame Royale.

Le petit Black vint la rejoindre.

— Eh bien, cria la voix, descend-elle ou ne descend-elle pas ?

— Nous voici, dit le municipal, qui était resté debout, respectant cette douleur si grande dans sa simplicité.

— Allons ! dit la reine. Et elle acheva de descendre. Lorsque les prisonnières furent arrivées au bas de l’escalier tournant, en face de la dernière porte sous laquelle le soleil traçait de larges bandes de lumière dorée, le tambour fit entendre un roulement qui appelait la garde, puis il y eut un grand silence provoqué par la curiosité, et la lourde porte s’ouvrit lentement en roulant sur ses gonds criards.

Une femme était assise à terre, ou plutôt couchée dans l’angle de la borne contiguë à cette porte. C’était la femme Tison, que la reine n’avait pas vue depuis vingt-quatre heures, absence qui, plusieurs fois dans la soirée de la veille et dans la matinée du jour où l’on se trouvait, avait suscité son étonnement.

La reine voyait déjà le jour, les arbres, le jardin, et, au delà de la barrière qui fermait ce jardin, son œil avide allait chercher la petite hutte de la cantine où ses amis l’attendaient sans doute, lorsque, au bruit de ses pas, la femme Tison écarta ses mains, et la reine vit un visage pâle et brisé sous ses cheveux grisonnants.

Le changement était si grand, que la reine s’arrêta étonnée.

Alors, avec cette lenteur des gens chez lesquels la raison est absente, elle vint s’agenouiller devant cette porte, fermant le passage à Marie-Antoinette.

— Que voulez-vous, bonne femme ? demanda la reine.

— Il a dit qu’il fallait que vous me pardonniez.

— Qui cela ? demanda la reine.

— L’homme au manteau, répliqua la femme Tison.

La reine regarda Madame Élisabeth et sa fille avec étonnement.

— Allez, allez, dit le municipal, laissez passer la veuve Capet ; elle a la permission de se promener dans le jardin.

— Je le sais bien, dit la vieille ; c’est pour cela que je suis venue l’attendre ici : puisqu’on n’a pas voulu me laisser monter, et que je devais lui demander pardon, il fallait bien que je l’attendisse.

— Pourquoi donc n’a-t-on pas voulu vous laisser monter ? demanda la reine. La femme Tison se mit à rire.

— Parce qu’ils prétendent que je suis folle ! dit-elle. La reine la regarda, et elle vit, en effet, dans les yeux égarés de cette malheureuse reluire un reflet étrange, cette lueur vague qui indique l’absence de la pensée.

— Oh ! mon Dieu ! dit-elle, pauvre femme ! que vous est-il donc arrivé ?

— Il m’est arrivé… vous ne savez donc pas ? dit la femme ; mais si… vous le savez bien, puisque c’est pour vous qu’elle est condamnée…

— Qui ?

— Héloïse.

— Votre fille ?

— Oui, elle… ma pauvre fille !

— Condamnée… mais par qui ? comment ? pourquoi ?

— Parce que c’est elle qui a vendu le bouquet…

— Quel bouquet ?

— Le bouquet d’œillets… Elle n’est pourtant pas bouquetière, reprit la femme Tison, comme si elle cherchait à rappeler ses souvenirs ; comment a-t-elle donc pu vendre ce bouquet ?

La reine frémit. Un lien invisible rattachait cette scène à la situation présente ; elle comprit qu’il ne fallait point perdre de temps dans un dialogue inutile.

— Ma bonne femme, dit-elle, je vous en prie, laissez-moi passer ; plus tard, vous me conterez tout cela.