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LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

comme, au milieu du cratère d’un volcan, il reste toujours un peu de matière en fusion.

— Citoyen concierge, dit le chef de l’escorte, fais-nous l’écrou et vivement, car on nous attend avec impatience à la Commune.

— Oh ! ce ne sera pas long, dit le concierge en versant dans son encrier quelques gouttes de vin qui restaient au fond d’un verre ; on a la main faite à cela, Dieu merci ! Tes noms et prénoms, citoyenne ?

Et, trempant sa plume dans l’encre improvisée, il s’apprêta à écrire au bas de la page, déjà pleine aux sept huitièmes, l’écrou de la nouvelle venue ; tandis que, debout derrière son fauteuil, la citoyenne Richard, femme aux regards bienveillants, contemplait, avec un étonnement presque respectueux, cette femme à l’aspect à la fois si triste, si noble et si fier, que son mari interrogeait.

— Marie-Antoinette-Jeanne-Josèphe de Lorraine, répondit la prisonnière, archiduchesse d’Autriche, reine de France.

— Reine de France ? répéta le concierge en se soulevant étonné sur le bras de son fauteuil.

— Reine de France, répéta la prisonnière du même ton.

— Autrement dit, veuve Capet, dit le chef de l’escorte.

— Sous lequel de ces deux noms dois-je l’inscrire ? demanda le concierge.

— Sous celui des deux que tu voudras, pourvu que tu l’inscrives vite, dit le chef de l’escorte.

Le concierge retomba sur son fauteuil, et, avec un léger tremblement, il écrivit sur son registre les prénoms, le nom et le titre que s’était donnés la prisonnière, inscriptions dont l’encre apparaît encore rougeâtre aujourd’hui sur ce registre, dont les rats de la conciergerie révolutionnaire ont grignoté la feuille à l’endroit le plus précieux.

La femme Richard se tenait toujours debout derrière le fauteuil de son mari ; seulement, un sentiment de religieuse commisération lui avait fait joindre les mains.

— Votre âge ? continua le concierge.

— Trente-sept ans et neuf mois, répondit la reine.

Richard se remit à écrire, puis détailla le signalement, et termina par les formules et les notes particulières.

— Bien, dit-il, c’est fait.

— Où conduit-on la prisonnière ? demanda le chef de l’escorte.

Richard prit une seconde prise de tabac et regarda sa femme.

— Dame ! dit celle-ci, nous n’étions pas prévenus, de sorte que nous ne savons guère…

— Cherche ! dit le brigadier.

— Il y a la chambre du conseil, reprit la femme.

— Hum ! c’est bien grand, murmura Richard.

— Tant mieux ! si elle est grande, on pourra plus facilement y placer des gardes.

— Va pour la chambre du conseil, dit Richard ; mais elle est inhabitable pour le moment, car il n’y a pas de lit.

— C’est vrai, répondit la femme, je n’y avais pas songé.

— Bah ! dit un des gendarmes, on y mettra un lit demain, et demain sera bientôt venu.

— D’ailleurs, la citoyenne peut passer cette nuit, dans notre chambre ; n’est-ce pas, notre homme ? dit la femme Richard.

— Eh bien, et nous, donc ? dit le concierge.

— Nous ne nous coucherons pas ; comme l’a dit le citoyen gendarme, une nuit est bientôt passée.

— Alors, dit Richard, conduisez la citoyenne dans ma chambre.

— Pendant ce temps-là, vous préparerez notre reçu, n’est-ce pas ?

— Vous le trouverez en revenant.

La femme Richard prit une chandelle qui brûlait sur la table, et marcha la première.

Marie-Antoinette la suivit sans mot dire, calme et pâle, comme toujours ; deux guichetiers, auxquels la femme Richard fit un signe, fermèrent la marche. On montra à la reine un lit auquel la femme Richard s’empressa de mettre des draps blancs. Les guichetiers s’installèrent aux issues ; puis la porte fut refermée à double tour, et Marie-Antoinette se trouva seule.

Comment elle passa cette nuit, nul le sait, puisqu’elle la passa face à face avec Dieu.

Ce fut le lendemain seulement que la reine fut conduite dans la chambre du conseil, quadrilatère allongé dont le guichet d’entrée donne sur un corridor de la Conciergerie, et que l’on avait coupé dans toute sa longueur par une cloison qui n’atteignait pas à la hauteur du plafond.

L’un des compartiments était la chambre des hommes de garde.

L’autre était celle de la reine.

Une fenêtre grillée de barreaux épais éclairait chacune de ces deux cellules.

Un paravent, substitué à une porte, isolait la reine de ses gardiens, et fermait l’ouverture du milieu.

La totalité de cette chambre était carrelée de briques sur champ.

Enfin les murs avaient été décorés autrefois d’un cadre de bois doré d’où pendaient encore des lambeaux de papier fleurdelisé.

Un lit dressé en face de la fenêtre, une chaise placée près du jour, tel était l’ameublement de la prison royale.

En y entrant, la reine demanda qu’on lui apportât ses livres et son ouvrage.

On lui apporta les Révolutions d’Angleterre,