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Page:Dumas - Le Chevalier de Maison-Rouge, 1853.djvu/189

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LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

suis pas innocente ; oui, je suis criminelle ; oui, je mérite la mort. Tuez-moi, monsieur, tuez-moi !…

— Alors, vous avouez que vous méritez la mort ?

— Oui, oui.

— Et que, pour expier je ne sais quel crime dont vous vous accusez, vous subirez cette mort sans vous plaindre ?

— Frappez, monsieur, je ne pousserai pas un cri ; et, au lieu de la maudire, je bénirai la main qui me frappera.

— Non, madame, je ne veux pas vous frapper ; cependant vous mourrez, c’est probable. Seulement, votre mort, au lieu d’être ignominieuse, comme vous pourriez le craindre, sera glorieuse à l’égal des plus belles morts. Remerciez-moi, madame, je vous punirai en vous immortalisant.

— Monsieur, que ferez-vous donc ?

— Vous poursuivrez le but vers lequel nous tendions quand nous avons été interrompus dans notre route. Pour vous et pour moi, vous tomberez coupable ; pour tous, vous mourrez martyre.

— Oh ! mon Dieu ! vous me rendez folle en me parlant ainsi. Où me conduisez-vous ? où m’entraînez-vous ?

— À la mort, probablement.

— Laissez-moi faire une prière alors.

— Votre prière ?

— Oui.

— À qui ?

— Peu vous importe ! du moment que vous me tuez, je paye ma dette, et, si j’ai payé, je ne vous dois rien.

— C’est juste, dit Dixmer en se retirant dans l’autre chambre ; je vous attends.

Il sortit du salon.

Geneviève alla s’agenouiller devant le portrait, en serrant de ses deux mains son cœur prêt à se briser.

— Maurice, dit-elle tout bas, pardonne-moi. Je ne m’attendais pas à être heureuse, mais j’espérais pouvoir te rendre heureux. Maurice, je t’enlève un bonheur qui faisait ta vie ; pardonne-moi ta mort, mon bien-aimé !

Et, coupant une boucle de ses longs cheveux, elle la noua autour du bouquet de violettes et le déposa au bas du portrait, qui parut prendre, tout insensible qu’était cette toile muette, une expression douloureuse pour la voir partir.

Du moins cela parut ainsi à Geneviève à travers ses larmes.

— Eh bien, êtes-vous prête, madame ? demanda Dixmer.

— Déjà ! murmura Geneviève.

— Oh ! prenez votre temps, madame !… répliqua Dixmer ; je ne suis pas pressé, moi ! D’ailleurs, Maurice ne tardera probablement pas à rentrer, et je serais charmé de le remercier de l’hospitalité qu’il vous a donnée.

Geneviève tressaillit de terreur à cette idée que son amant et son mari pouvaient se rencontrer. Elle se releva comme mue par un ressort.

— C’est fini, monsieur, dit-elle, je suis prête !

Dixmer passa le premier. La tremblante Geneviève le suivit, les yeux à moitié fermés, la tête renversée en arrière ; ils montèrent dans un fiacre qui attendait à la porte ; la voiture roula.

Comme l’avait dit Geneviève, c’était fini.


CHAPITRE XL

Le cabaret du Puits-de-Noé



C et homme vêtu d’une carmagnole, que nous avons vu arpenter en long et en large la salle des Pas-Perdus, et que nous avons entendu, pendant l’expédition de l’architecte Giraud, du général Henriot et du père Richard, échanger quelques paroles avec le guichetier resté de garde à la porte du souterrain ; ce patriote enragé avec son bonnet d’ours et ses moustaches épaisses, qui s’était donné à Simon comme ayant porté la tête de la princesse de Lamballe, se trouvait le lendemain de cette soirée, si variée en émotions, vers sept heures du soir, au cabaret du Puits-de-Noé, situé, comme nous l’avons dit, au coin de la rue de la Vieille-Draperie.

Il était là, chez le marchand, ou plutôt chez la marchande de vin, au fond d’une salle noire et enfumée par le tabac et les chandelles, faisant semblant de dévorer un plat de poisson au beurre noir.

La salle où il soupait était à peu près déserte ;