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LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

riot ; seulement, la statue royale avait l’œil lumineux, et ses cheveux s’agitaient au vent. Un silence pareil à celui du désert s’abattit soudain sur les trois cent mille spectateurs de cette scène, que le ciel voyait pour la première fois à la clarté de son soleil. Bientôt, de l’endroit où se tenaient Maurice et Lorin, on entendit crier l’essieu de la charrette et souffler les chevaux des gardes. La charrette s’arrêta au pied de l’échafaud.

La reine, qui, sans doute, ne songeait pas à ce moment, se réveilla et comprit : elle étendit son regard hautain sur la foule, et le même jeune homme pâle qu’elle avait vu debout sur un canon lui apparut de nouveau debout sur une borne.

De cette borne, il lui envoya le même salut respectueux qu’il lui avait déjà adressé au moment où elle sortait de la Conciergerie ; puis aussitôt il sauta à bas de la borne.

Plusieurs personnes le virent, et, comme il était vêtu de noir, de là le bruit se répandit qu’un prêtre avait attendu Marie-Antoinette afin de lui envoyer l’absolution au moment où elle monterait sur l’échafaud. Au reste, personne n’inquiéta le chevalier. Il y a dans les moments suprêmes un suprême respect pour certaines choses.

La reine descendit avec précaution les trois degrés du marchepied ; elle était soutenue par Sanson, qui, jusqu’au dernier moment, tout en accomplissant la tâche à laquelle il semblait lui-même condamné, lui témoigna les plus grands égards.

Pendant qu’elle marchait vers les degrés de l’échafaud, quelques chevaux se cabrèrent, quelques gardes à pied, quelques soldats, semblèrent osciller et perdre l’équilibre ; puis on vit comme une ombre se glisser sous l’échafaud ; mais le calme se rétablit presque à l’instant même : personne ne voulait quitter sa place dans ce moment solennel, personne ne voulait perdre le moindre détail du grand drame qui allait s’accomplir ; tous les yeux se portèrent vers la condamnée.

La reine était déjà sur la plate-forme de l’échafaud. Le prêtre lui parlait toujours ; un aide la poussait doucement par derrière ; un autre dénouait le fichu qui couvrait ses épaules.

Marie-Antoinette sentit cette main infâme qui effleurait son cou, elle fit un brusque mouvement et marcha sur le pied de Sanson, qui, sans qu’elle le vît, était occupé à l’attacher à la planche fatale.

Sanson retira son pied.

— Excusez-moi, monsieur, dit la reine, je ne l’ai point fait exprès.

Ce furent les dernières paroles que prononça la fille des Césars, la reine de France, la veuve de Louis XVI.

Le quart après midi sonna à l’horloge des Tuileries ; en même temps que lui Marie-Antoinette tombait dans l’éternité.

Un cri terrible, un cri qui résumait toutes les patiences : joie, épouvante, deuil, espoir, triomphe, expiation, couvrit comme un ouragan un autre cri faible et lamentable qui, au même moment, retentissait sous l’échafaud.

Les gendarmes l’entendirent pourtant, si faible qu’il fût ; ils firent quelques pas en avant ; la foule, moins serrée, s’épandit comme un fleuve dont on élargit la digue, renversa la haie, dispersa les gardes, et vint comme une marée battre les pieds de l’échafaud, qui en fut ébranlé.

Chacun voulait voir de près les restes de la royauté, que l’on croyait à tout jamais détruite en France.

Mais les gendarmes cherchaient autre chose : ils cherchaient cette ombre qui avait dépassé leurs lignes, et qui s’était glissée sous l’échafaud.

Deux d’entre eux revinrent, amenant par le collet un jeune homme dont la main pressait sur son cœur un mouchoir teint de sang.

Il était suivi par un petit chien épagneul qui hurlait lamentablement.

— À mort l’aristocrate ! à mort le ci-devant ! crièrent quelques hommes du peuple en désignant le jeune homme ; il a trempé son mouchoir dans le sang de l’Autrichienne : à mort !

— Grand Dieu ! dit Maurice à Lorin, le reconnais-tu ? le reconnais-tu ?

— À mort le royaliste ! répétèrent les forcenés ; ôtez-lui ce mouchoir dont il veut se faire une relique : arrachez, arrachez !

Un sourire orgueilleux erra sur les lèvres du jeune homme ; il arracha sa chemise, découvrit sa poitrine, et laissa tomber son mouchoir.

— Messieurs, dit-il, ce sang n’est pas celui de la reine, mais bien le mien ; laissez-moi mourir tranquillement. Et une blessure profonde et reluisante apparut béante sous sa mamelle gauche. La foule jeta un cri et recula.

Alors le jeune homme s’affaissa lentement et tomba sur ses genoux en regardant l’échafaud comme un martyr regarde l’autel.

— Maison-Rouge ! murmura Lorin à l’oreille de Maurice.

— Adieu ! murmura le jeune homme en baissant la tête avec un divin sourire ; adieu, ou plutôt au revoir !

Et il expira au milieu des gardes stupéfaits.

— Il y a encore cela à faire, Lorin, dit Maurice, avant de devenir mauvais citoyen.

Le petit chien tournait autour du cadavre, effaré et hurlant.

— Tiens ! c’est Black, dit un homme qui tenait un gros bâton à la main ; tiens ! c’est Black ; viens ici, mon petit vieux.