Page:Dumas - Le Chevalier de Maison-Rouge, 1853.djvu/35

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
21
LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

— Tison, dit Santerre, qui est venu, hier, apporter des vivres aux détenus ? Tison cita un nom.

— Et leur linge, qui le leur a apporté ?

— Ma fille.

— Ta fille est donc blanchisseuse ?

— Certainement.

— Et tu lui as donné la pratique des prisonniers ?

— Pourquoi pas ? autant qu’elle gagne cela qu’une autre. Ce n’est plus l’argent des tyrans, c’est l’argent de la nation, puisque la nation paye pour eux.

— On t’a dit d’examiner le linge avec attention.

— Eh bien, est-ce que je ne m’acquitte pas de mon devoir ? à preuve qu’il y avait hier un mouchoir auquel on avait fait deux nœuds, que je l’ai été porter au conseil, qui a ordonné à ma femme de le dénouer, de le repasser, et de le remettre à madame Capet sans lui rien dire.

À cette indication de deux nœuds faits à un mouchoir, la reine tressaillit, ses prunelles se dilatèrent, et Madame Élisabeth et elles échangèrent un regard.

— Tison, dit Santerre, ta fille est une citoyenne dont personne ne soupçonne le patriotisme ; mais, à partir d’aujourd’hui, elle n’entrera plus au Temple.

— Oh ! mon Dieu ! dit Tison effrayé, que me dites-vous donc là, vous autres ? Comment ! je ne reverrais plus ma fille que lorsque je sortirais ?

— Tu ne sortiras plus, dit Santerre.

Tison regarda autour de lui sans arrêter sur aucun objet son œil hagard ; et soudain :

— Je ne sortirai plus ! s’écria-t-il. Ah ! c’est comme cela ? Eh bien ! je veux sortir pour tout à fait, moi. Je donne ma démission ; je ne suis pas un traître, un aristocrate, moi, pour qu’on me retienne en prison. Je vous dis que je veux sortir.

— Citoyen, dit Santerre, obéis aux ordres de la Commune, et tais-toi, ou tu pourrais mal t’en trouver, c’est moi qui te le dis. Reste ici et surveille ce qui s’y passe. On a l’œil sur toi, je t’en préviens.

Pendant ce temps, la reine, qui se croyait oubliée, se rassérénait peu à peu et replaçait son fils dans son lit.

— Fais monter ta femme, dit le municipal à Tison.

Celui-ci obéit, sans mot dire. Les menaces de Santerre l’avaient rendu doux comme un agneau. La femme Tison monta.

— Viens ici, citoyenne, dit Santerre ; nous allons passer dans l’antichambre, et pendant ce temps, tu fouilleras les détenues.

— Dis donc, femme, dit Tison, ils ne veulent plus laisser venir notre fille au Temple.

— Comment ! ils ne veulent plus laisser venir notre fille ?

Mais nous ne la verrons donc plus, notre fille ? Tison secoua la tête.

— Qu’est-ce que vous dites donc là ?

— Je dis que nous ferons un rapport au conseil du Temple et que le conseil décidera. En attendant…

— En attendant, dit la femme, je veux revoir ma fille.

— Silence ! dit Santerre ; on t’a fait venir ici pour fouiller les prisonnières, fouille-les, et puis après nous verrons…

— Mais… cependant !…

— Oh ! oh ! dit Santerre en fronçant les sourcils ; cela se gâte, ce me semble.

— Fais ce que dit le citoyen général ! fais, femme ; après, tu vois bien qu’il dit que nous verrons.

Et Tison regarda Santerre avec un humble sourire.

— C’est bien, dit la femme ; allez-vous-en, je suis prête à les fouiller.

Ces hommes sortirent.

— Ma chère madame Tison, dit la reine, croyez bien…

— Je ne crois rien, citoyenne Capet, dit l’horrible femme en grinçant des dents, si ce n’est que, c’est toi qui es cause de tous les malheurs du peuple. Aussi, que je trouve quelque chose de suspect sur toi, et tu verras.

Quatre hommes restèrent à la porte pour prêter main-forte à la femme Tison, si la reine résistait. On commença par la reine.

On trouva sur elle un mouchoir noué de trois nœuds, qui semblait malheureusement une réponse préparée à celui dont avait parlé Tison, un crayon, un scapulaire et de la cire à cacheter.

— Ah ! je le savais bien, dit la femme Tison ; je l’avais bien dit aux municipaux, qu’elle écrivait, l’Autrichienne ! L’autre jour, j’avais trouvé une goutte de cire sur la bobèche du chandelier.

— Oh ! madame, dit la reine avec un accent suppliant, ne montrez que le scapulaire.

— Ah bien, oui, dit la femme, de la pitié pour toi !… Est-ce qu’on en a pour moi, de la pitié ?… On me prend ma fille.

Madame Élisabeth et madame Royale n’avaient rien sur elles.

La femme Tison rappela les municipaux, qui rentrèrent, Santerre à leur tête ; elle leur remit les objets trouvés sur la reine, qui passèrent de main en main et furent l’objet d’un nombre infini de conjectures : le mouchoir noué de trois nœuds, surtout, exerça longuement l’imagination des persécuteurs de la race royale.

— Maintenant, dit Santerre, nous allons te lire l’arrêté de la Convention.

— Quel arrêté ? demanda la reine.

— L’arrêté qui ordonne que tu seras séparée de ton fils.

— Mais c’est donc vrai que cet arrêté existe ?

— Oui. La Convention a trop grand souci d’un enfant confié à sa garde par la nation