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LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

Un silence de mort accueillit cette réponse.

Maurice Lindey présentait sa poitrine, attendant d’un moment à l’autre que la lame, dont il avait senti la pointe seulement, se plongeât tout entière dans son cœur.

— Est-ce bien vrai ? dit après quelques secondes une voix qui trahissait quelque émotion. Voyons, jeune homme, ne mens pas.

— Fouillez dans ma poche, dit Maurice, et vous trouverez ma commission. Regardez sur ma poitrine, et si mon sang ne les a pas effacées, vous trouverez mes initiales, un M et un L brodés sur ma chemise.

Aussitôt Maurice se sentit enlever par des bras vigoureux. Il fut porté pendant un espace assez court. Il entendit, ouvrir une première porte, puis une seconde. Seulement, la seconde était plus étroite que la première, car à peine si les hommes qui le portaient y purent passer avec lui.

Les murmures et les chuchotements continuaient.

— Je suis perdu, se dit à lui-même Maurice ; ils vont me mettre une pierre au cou et me jeter dans quelque trou de la Bièvre.

Mais, au bout d’un instant, il sentit que ceux qui le portaient montaient quelques marches. Un air plus tiède frappa son visage, et on le déposa sur un siège. Il entendit fermer une porte à double tour, des pas s’éloignèrent. Il crut sentir qu’on le laissait seul. Il prêta l’oreille avec autant d’attention que peut le faire un homme dont la vie dépend d’un mot, et il crut entendre que cette même voix, qui avait déjà frappé son oreille par un mélange de fermeté et de douceur, disait aux autres :

— Délibérons.

CHAPITRE VIII

geneviève



U n quart d’heure s’écoula qui parut un siècle à Maurice. Rien de plus naturel : jeune, beau, vigoureux, soutenu dans sa force par cent amis dévoués, avec lesquels il rêvait parfois l’accomplissement de grandes choses, il se sentait tout à coup, sans préparation aucune, exposé à perdre la vie dans un guet-apens ignoble.

Il comprenait qu’on l’avait renfermé dans une chambre quelconque ; mais était-il surveillé ?

Il essaya un nouvel effort pour rompre ses liens. Ses muscles d’acier se gonflèrent et se roidirent, la corde lui entra dans les chairs, mais ne se rompit pas.

Le plus terrible, c’est qu’il avait les mains liées derrière le dos et qu’il ne pouvait arracher son bandeau. S’il avait pu voir, peut-être eût-il pu fuir.

Cependant, ces diverses tentatives s’étaient accomplies sans que personne s’y opposât, sans que rien bougeât autour de lui ; il en augura qu’il était seul.

Ses pieds foulaient quelque chose de moelleux et de sourd, du sable, de la terre grasse, peut-être. Une odeur âcre et pénétrante frappait son odorat et dénonçait la présence de substances végétales, Maurice pensa qu’il était dans une serre ou dans quelque chose de pareil. Il fit quelques pas, heurta un mur, se retourna pour tâter avec ses mains, sentit des instruments aratoires, et poussa une exclamation de joie.

Avec des efforts inouïs, il parvint à explorer tous ces instruments les uns après les autres. Sa fuite devenait alors une question de temps : si le hasard ou la Providence lui donnait cinq minutes, et si parmi ces ustensiles il trouvait un instrument tranchant, il était sauvé.

Il trouva une bêche.

Ce fut, par la manière dont Maurice était lié, toute une lutte pour retourner cette bêche, de façon à ce que le fer fût en haut. Sur ce fer, qu’il maintenait contre le mur avec ses reins, il coupa ou plutôt il usa la corde qui lui liait les poignets. L’opération était longue, le fer de la bêche tranchait lentement. La sueur lui coulait sur le front ; il entendit comme un bruit de pas qui se rapprochait. Il fit un dernier effort, violent, inouï, suprême ; la corde, à moitié usée, se rompit.

Cette fois, ce fut un cri de joie qu’il poussa ; il était sûr du moins de mourir en se défendant.

Maurice arracha le bandeau de dessus ses yeux.

Il ne s’était pas trompé ; il était dans une espèce, non pas de serre, mais de pavillon où l’on avait serré quelques-unes de ces plantes grasses qui ne peuvent