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Page:Dumas - Le Chevalier de Maison-Rouge, 1853.djvu/78

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LE CHEVALIER DE MAISON-ROUGE.

veuve d’un faubourien tué au 10 août, et qui répondait au nom de femme Plumeau.

Cette petite cabane, bâtie en planches et en torchis, était située au milieu d’une plate-bande, dont on reconnaissait encore les limites à une haie naine en buis. Elle se composait d’une seule chambre d’une douzaine de pieds carrés, au-dessous de laquelle s’étendait une cave, où on descendait par des escaliers grossièrement taillés dans la terre même. C’était là que la veuve Plumeau enfermait ses liquides et ses comestibles, sur lesquels elle et sa fille, enfant de douze à quinze ans, veillaient à tour de rôle.

À peine installés à leur bivac, les gardes nationaux se mirent donc, comme nous l’avons dit, les uns à se promener dans le jardin, les autres à causer avec les concierges ; ceux-ci à regarder les dessins tracés sur la muraille, et qui représentaient tous quelque dessin patriotique, tel que le roi pendu, avec cette inscription : « M. Veto prenant un bain d’air, » — ou le roi guillotiné, avec cette autre : « M. Veto crachant dans le sac ; » ceux-là à faire des ouvertures à madame Plumeau sur les desseins gastronomiques que leur suggérait leur plus ou moins d’appétit.

Au nombre de ces derniers étaient le capitaine et le chasseur que nous avons déjà remarqués.

— Ah ! capitaine Dixmer, dit la cantinière, j’ai du fameux vin de Saumur, allez !

— Bon, citoyenne Plumeau ; mais le vin de Saumur, à mon avis du moins, ne vaut rien sans le fromage de Brie, répondit le capitaine, qui, avant d’émettre ce système, avait regardé avec soin autour de lui et avait remarqué parmi les différents comestibles, qu’étalaient orgueilleusement les rayons de la cantine, l’absence de ce comestible apprécié par lui.

— Ah ! mon capitaine, c’est comme un fait exprès, mais le dernier morceau vient d’être enlevé.

— Alors, dit le capitaine, pas de fromage de Brie, pas de vin de Saumur ; et remarque, citoyenne, que la consommation en valait la peine, attendu que je comptais en offrir à toute la compagnie.

— Mon capitaine, je te demande cinq minutes et je cours en chercher chez le citoyen concierge qui me fait concurrence, et qui en a toujours ; je le payerai plus cher, mais tu es trop bon patriote pour ne pas m’en dédommager.

— Oui, oui, va, répondit Dixmer, et nous, pendant ce temps, nous allons descendre à la cave et choisir nous-mêmes notre vin.

— Fais comme chez toi, capitaine, fais. Et la veuve Plumeau se mit à courir de toutes ses forces vers la loge du concierge, tandis que le capitaine et le chasseur, munis d’une chandelle, soulevaient la trappe et descendaient dans la cave.

— Bon ! dit Morand après un instant d’examen, la cave s’avance dans la direction de la rue Porte-Foin. Elle est profonde de neuf à dix pieds, et il n’y a aucune maçonnerie.

— Quelle est la nature du sol ? demanda Dixmer.

— Tuf crayeux. Ce sont des terres rapportées ; tous ces jardins ont été bouleversés à plusieurs reprises, il n’y a de roche nulle part.

— Vite, s’écria Dixmer, j’entends les sabots de notre vivandière ; prenez deux bouteilles de vin et remontons.

Ils apparaissaient tous deux à l’orifice de la trappe, quand la Plumeau rentra, portant le fameux fromage de Brie demandé avec tant d’insistance.

Derrière elle venaient plusieurs chasseurs, alléchés par la bonne apparence du susdit fromage.

Dixmer fit les honneurs : il offrit une vingtaine de bouteilles de vin à sa compagnie, tandis que le citoyen Morand racontait le dévouement de Curtius, le désintéressement de Fabricius et le patriotisme de Brutus et de Cassius, toutes histoires qui furent presque autant appréciées que le fromage de Brie et le vin d’Anjou offerts par Dixmer, ce qui n’est pas peu dire.

Onze heures sonnèrent. C’était à onze heures et demie qu’on relevait les sentinelles.

— N’est-ce point d’ordinaire de midi à une heure que l’Autrichienne se promène ? demanda Dixmer à Tison, qui passait devant la cabane.

— De midi à une heure, justement. Et il se mit à chanter :


Madame monte à sa tour…
Mironton, tonton, mirontaine.

Cette nouvelle facétie fut accueillie par les rires universels des gardes nationaux.

Aussitôt Dixmer fit l’appel des hommes de sa compagnie qui devaient monter leur garde de onze heures et demie à une heure et demie, recommanda de hâter le déjeuner et fit prendre les armes à Morand pour le placer, comme il était convenu, au dernier étage de la tour, dans cette même guérite derrière laquelle Maurice s’était caché, le jour où il avait intercepté les signes qui avaient été faits à la reine, d’une fenêtre de la rue Porte-Foin.

Si l’on eût regardé Morand au moment où il reçut cet avis, bien simple et bien attendu, on eût pu le voir blêmir sous les longues mèches de ses cheveux noirs.

Soudain un bruit sourd ébranla les cours du Temple, et l’on entendit dans le lointain comme un ouragan de cris et de rugissements.

— Qu’est-ce que cela ? demanda Dixmer à Tison.

— Oh ! oh ! répondit le geôlier, ce n’est rien ; quelque petite émeute que voudraient nous faire ces gueux de brissotins avant d’aller à la guillotine.

Le bruit devenait de plus en plus menaçant ; on entendait rouler l’artillerie, et une troupe de gens hurlant passa près du Temple en criant :